ADN – La Tempête – Coup de Coeur pour cette très belle adaptation par Marie Mahé du texte de Dennis Kelly, à voir absolument.

ADN à La Tempête : pour sa première mise en scène, Marie Mahé signe une très belle adaptation du texte de Dennis Kelly, ce qui commence comme la chronique d’un harcèlement qui dérape devient rapidement une analyse au scalpel du fonctionnement des groupes, passée au filtre de ce qui fait, ou pas, notre humanité.

En fond de scène, inspirée de la Chapelle Sixtine, la main de Dieu, celle d’Adam, les index tendus. Deux mains rouges, à celle d’Adam s’en joignent d’autres, spectrales. Sur la scène, un de ces bancs qu’on trouve dans les parcs publics, John est assis, dans un rouge sombre. Arrive Cathy. Plein feu, blanc cru. Ils ont les mains rouges de sang, celles de John tremblent. C’est la merde… Non, c’est pas la merde, Cathy, non, c’est pas la merde…

Dans un lycée, peut-être, proche d’une forêt, d’une autoroute. Un groupe d’adolescents s’est acharné sur l’un d’entre eux, Adam, il est mort. Que vont-ils faire ? Inventer une histoire, trop bien l’inventer, un homme est accusé de meurtre. Faut-il intervenir ? Plus tard, quand la situation rebondit à nouveau, pourront-ils s’en sortir ?

Les personnages de Dennis Kelly sont d’une humanité brute, sans nuances. Pas d’introspection, pas de lamentations, John, Cathy, Léa, Phil, sont soumis à une tension croissante, l’un décide, ils agissent, dans l’intérêt du groupe. Un groupe dont John est le leader, un leader qui ne supporte pas la contestation, Phil le cerveau, Cathy la main, et Léa le cœur, priée de mettre un voile sur ses doutes et ses états d’âme.

Si les personnages de Dennis Kelly pouvaient fréquenter un collège londonien huppé, Marie Mahé réduit leur nombre, les place dans un univers de banlieue, entre survêtement et autoroute. Elle emporte le spectateur par surprise, qui est d’abord extérieur à cette histoire de harcèlement, elle ne concerne bien sûr pas sa classe d’âge, ni son univers social.

Une histoire de jeunes qui ne le concerne pas ? S’il n’a jamais cherché à couvrir une erreur, s’il n’a jamais omis d’innocenter un faux coupable, s’il n’a jamais fait taire sa morale contraire à ses intérêts, peut-être pas encore. Qui n’a jamais glissé la poussière sous le tapis ? Qui ne s’est jamais secrètement réjoui qu’on trouve un responsable aux fautes qu’il avait commises ? Quel que soit son âge, quel que soit son milieu socioprofessionnel, les mécanismes de groupe sont les mêmes, et c’est la même humanité.

Petit à petit, quand la violence physique devient morale, le spectateur prend conscience que Dennis Kelly et Marie Mahé ne lui parlent pas d’une jeunesse oubliée, mais de ce qui fait l’humain, un humain coincé entre ses ancêtres, le chimpanzé violent et le bonobo sociable. Tout est là. La place du leader dans le groupe, entre celui qui donne les ordres, et son éminence grise, silencieux, qui observe, oriente en peu de mots. La diffusion de la responsabilité, revoilà Milgram et son expérience, celui qui décide ne se salit pas les mains, celui qui exécute n’endosse pas la responsabilité tout en prenant les initiatives les plus terribles. Le dilemme du tramway, qui va décider de sacrifier son ami pour sauver le groupe ? Et la culpabilité ? John dont les mains tremblaient l’évacuera partiellement, elle engloutira Léa.

L’adaptation de Marie Mahé, assure la mise en scène, va a l’essentiel. S’appuyant sur une lumière diaboliquement efficace, elle installe la tension dès la première seconde. Une tension qui va en se renforçant, le spectateur n’aura pas le temps de reprendre son souffle, jusqu’à la séquence finale, où tout explose, laissant le spectateur dans le doute de ce qui s’est passé au retour dans les bois.

Sur scène, Tigran Mekhitarian, en alternance avec Achille Reggiani, est excellent en chef de bande, il installe son univers. Maxime Boutéraon est Phil, observateur mutique, une posture difficile qu’il tient avec talent, prenez le temps de suivre son regard. Marie Mahé est Cathy, l’exécutante glaçante d’efficacité. Léa Luce Busato est Léa, son flux reflète la rectitude de sa morale.

Un vrai sujet, un texte fort ramené à l’os, un parti pris tenu, une distribution maîtrisée, pour sa première mise en scène, Marie Mahé signe une très belle adaptation du texte de Dennis Kelly. Ce qui a débuté comme la chronique d’un harcèlement ordinaire devient rapidement une analyse au scalpel du fonctionnement des groupes, une réflexion sur ce qui peut faire notre humanité.

Je suis sorti aussi séduit que convaincu par ADN, et je vous engage à aller voir cette pièce, qui est un grand coup de cœur. Son sujet est dur, la tension est intense, elle est visible dès 12 ans, ils étaient nombreux dans la salle, tous concentrés, c’est leur univers, présenté sans filtre ni commentaires, leur humanité.

Le mot de Baroudeur, qui suit attentivement le travail de l’équipe Tigran Mekhitarian : c’est incroyable comme c’est bien, quand c’est bien comme ça il n’y a rien d’autre à dire que : allez voir ADN.

Au Théâtre de la Tempête (salle Copi) jusqu’au 19/03/23
Du mardi au samedi : 20h30 – dimanche : 16h30

Texte : Dennis Kelly – traduction : Philippe Le Moine – adaptation : Marie Mahé
Avec : Maxime Boutéraon, Léa Luce Busato, Marie Mahé, Tigran Mekhitarian, Achille Reggiani
Mise en scène : Marie Mahé

Visuel : Ymanol Perset

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