Je n'ai qu'une vie – Des émotions à partager

Le sol de la scène est revêtu de gris, on aperçoit cinq paires de chaussures rouges, talons aiguilles. Un homme et une femme sont assis, dos à la salle. Trois personnes en blouse blanche arrivent. Asseyez-vous. Charly V., médiateur non médical…

Les parents de Lucas rencontrent l’équipe médicale qui suit leur fils. Il s’agit de faire le point, la tension est tangible. Lucas est malade, bronchiolite oblitérante, depuis tout petit. Il a appris à vivre normalement avec un demi poumon, sans assistance ni traitement. Maintenant qu’il a atteint sa taille adulte, l’équipe médicale voudrait procéder à une transplantation. Une transplantation risquée. Les parents de Lucas soupèsent l’alternative, décident de ne pas suivre l’avis des médecins.

Apnée est un témoignage fort, qui raconte l’espace de temps entre l’appel du médecin et le moment où la décision est certaine, tant que l’état de Lucas est stable, il n’y aura pas de transplantation. Comme la vie est un tout, les souvenirs remontent dans cet espace de temps. Il y a Lucas, ses parents, sa petite sœur. L’assiette de pâtes, sur la table quand le téléphone a sonné. Un recueil de Rimbaud oublié au moment de partir en vacances. Le son de la machine qui a accompagné les premières années, les odeurs…

Et puis l’équipe médicale, qui ne perçoit pas qu’elle est à contre cycle. Elle est soulagée, après dix ans passés à suivre, elle peut enfin faire. Quand les parents de Lucas pèsent les termes du choix, elle ne comprend pas que sa préconisation soit contestée. Quand les parents de Lucas rappellent le droit, elle se drape et se vexe.

Quand Lucas grandit, approche de la majorité, de l’âge où il pourra, devra, décider, où il sera face à l’institution… sur une plage de Grèce, sa mère lui parle…

Sophie Torresi a écrit un texte profondément humain. C’est l’histoire de son fils, leur histoire, leur vie. Elle raconte les choses, pose les faits. C’est d’abord, bien sûr, une histoire d’amour. C’est une histoire qui ne juge pas, qui ne va pas chercher la larme du spectateur. Une histoire qui ouvre à la réflexion, qui rappelle le droit qui s’applique en matière de soin. Un droit qui peut être tordu par le déséquilibre entre le poids de l’institution et le relatif isolement des patients. Quand la communication est coupée, quand on ne se comprend plus, les hommes et les femmes de l’institution se retranchent derrière leurs processus, l’inhumanité écrasante s’installe…

Domitille Bioret, Violaine de Carné, Madeleine Mainier, Isabelle Saudubray, Sophie Torresi. Elles sont cinq sur scène, qui donnent une forme chorale, soulignée par une belle lumière, à un texte qui est reste essentiellement un monologue. La parole passe de l’une à l’autre, un relais qui ajoute à leur sororité complice.

Apnée est un spectacle, c’est aussi un projet autour et au delà du spectacle. Il y a du spectacle une forme courte,qui peut être donnée dans des salles non équipées, pour une formation, un débat, un séminaire. Une forme qui ouvre le temps d’une réflexion, d’une discussion. Une forme qui peut porter sur le champ du soin, du médical. Qui peut en sortir, aussi, il n’y a pas que le corps médical qui sait ce qui est le mieux pour celui qu’il conseille.

Quand on sort d’Apnée, on est plus fort. Plus fort de l’expérience de Sophie Torresi. Plus fort de cette connaissance qu’on a acquise de la décision en matière de soin, du consentement. Plus fort de porter son témoignage au niveau politique, pas pour changer la loi, elle semble bien faite, mais pour changer les esprits, là, il y a encore du boulot.

Aux Déchargeurs jusqu’au 28/02/2023
Dimanche, lundi, mardi : 19h00

A La Reine Blanche du 01/03/23 au 04/03/23
Mercredi, jeudi, vendredi, samedi : 19h00

Texte : Sophie Torresi
Mise en scène et interprétation : Domitille Bioret, Violaine de Carné, Madeleine Mainier, Isabelle Saudubray, Sophie Torresi

Visuel : Sophie Torresi / Léa Rousse Radigois