MAJOLA de Caroline Darnay : un voyage au cœur du déni, une pièce qui dit l’humanité

MAJOLA à l’Essaïon Théâtre : une femme contemple son déni dans son miroir, un journaliste blasé et usé, un caméraman qui veut savoir. Caroline Darnay raconte Irène Kadler, compagne d’Amon Göth, le Boucher d’Hitler. Une pièce noire et nécessaire qui dit l’humanité.

La scène est aménagée pour enregistrer un entretien. Deux fauteuils, deux projecteurs, une caméra 60s sur rails de traveling. Deux hommes s’activent, trente ans les séparent. Je mets un filtre ou quoi ?

En 1982, les actions d’Oscar Schindler font l’objet d’un important travail de mémoire. Le livre de Thomas Keneally est sorti en 1982, Steven Spielberg prépare le tournage de son film qui sera sur les écrans en 1993. Dans ce cadre, deux hommes mènent une série d’entretiens pour un film documentaire. Ils vont rencontrer Irène Kalder, secrétaire de Schindler puis compagne d’Amon Göth, le commandant du camp de Plaszow, c’est elle qui a fait le lien entre les deux hommes. Le journaliste a le même âge qu’elle, pendant la guerre il était pilote de bombardier dans la 8e Air Force. Le cameraman est né après la guerre, il a a un besoin viscéral de savoir ce qu’il s’est passé.

Ce qui devait un entretien de quelques minutes centré sur Oscar Schindler va devenir un voyage au cœur des ténèbres. Qui était vraiment Irène Kadler ? Pourquoi Amon Göth, fasciné par Blanche Neige, l’appelait-il Majola, Petite Reine ? Était-elle une beauté orgueilleuse, désinvolte et superficielle ? Était-elle une héroïne du quotidien qui faisait ce qu’elle pouvait pour préserver les juifs qui l’entouraient ? Que savait-elle vraiment de ce qui se passait dans le camp de Plaszow ? A quel point était-elle impliquée dans les projets du Boucher d’Hitler ? Pourquoi le journaliste blasé est-il réticent à mener cet entretien, poussé par le besoin du cameraman de savoir ?

Le texte de Caroline Darnay, qui signe également la mise en scène, nous emmène sur ce chemin. Comme on remonte un fleuve d’étape en étape, elle nous fait découvrir successivement toutes les réalités d’Irène Kalder, celles du journaliste, prenant à chaque station le temps de bien l’installer. Elle parle des images qui hantent les nuits, de punition divine, de la nécessité de ne pas se voiler la face pour pouvoir pardonner. Elle fait du cameraman un miroir dans lequel Irène Göth et le journaliste arriveront à s’apercevoir. Un texte noir, qui tient l’attention du spectateur, qui lui coupe le souffle.

Sur scène, Caroline Darnay est Irène Kadler, aussi solide que poussée dans les retranchements de son amour pour Amon Göth, un amour sincère sans être aveugle qui lui fera prendre son nom sans qu’ils aient été mariés, relisez Blanche Neige… Face à elle, Marc F. Duret, excellent et hypnotique en journaliste ambigü et torturé qui a perdu ses illusions, qui assume de sacrifier ses nuits pour protéger l’avenir. Et Duncan Talhouët, porteur du besoin de savoir, de comprendre, de venger.

Majola est une pièce nécessaire. Parce ce que c’est un travail de mémoire. Parce qu’elle explore les sinuosités de ce qui fait l’humanité, les horreurs dont elle capable collectivement, les rencontres de hasard qui font les héros dont on préfèrera se souvenir. Parce qu’elle dit comment le plus fort écrit l’histoire après la victoire. Parce qu’elle dit l’importance de voir les choses telles qu’elles sont pour pouvoir comprendre, (se) pardonner, avancer.

Majola est une pièce noire. Pas une pièce lourde. Vous la verrez pour son propos, et pour les nuances de son interprétation.

A l‘Essaïon Théâtre jusqu’au 20/05/24
Lundi : 21h00
Durée : 1h20

Texte : Caroline Darnay
Avec : Caroline Darnay, Marc Francesco Duret, Duncan Talhouët
Mise en scène : Caroline Darnay
Compagnie : L’Impertinente

Photo : Cyprien Leym / affiche Marianne Seguin

Cette chronique a été publiée pour la première fois sur www.jenaiquunevie.com

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