Laetitia Lebacq n’insère-t-elle pas une pointe de féminisme dans sa superbe version de la Putain Respectueuse de Jean-Paul Sartre du théâtre qui donne à réfléchir, à découvrir à La Folie Théâtre (compagnie Strapathella) ?

La scène représente l’appartement de Lizzie, prostituée dans le sud des Etats-Unis. Une table, une radio à lampes, un fauteuil club. Une bassine pour se rafraichir. Un homme noir, en fuite, passe, Lizzie arrive. Plus tard, son client sort de la chambre. La ville est sur les nerf, deux noirs sont accusés d’avoir violé une femme dans un train, l’un a été abattu, l’autre est en fuite. La femme dans le train, c’était Lizzie, et Fred, son client, est à la fois le cousin de celui qui a tué l’homme noir dans le train, et le fils du Sénateur Clark, le potentat local. Lizzie sait ce qui s’est passé dans le train, l’enjeu, pour Fred et pour le Sénateur, est d’obtenir d’elle qu’elle sauve leur cousin et neveu, au prix de la vie de l’homme noir. Lizzie refuse de se parjurer… au début.
Il y a Lizzie, la prostituée, Fred, son client. Il y a le Sénateur Clark, dont on connaît le nom et la fonction, et l’homme noir, dont on ne connaît que l’innocence.
Avec La Putain Respectueuse, Sartre traite de nombreux sujets : la complaisance, le pouvoir des mots qui manipulent, le pouvoir de l’argent qui corrompt, le pouvoir du sexe qui fait perdre la tête, le racisme larvé, la femme responsable des malheurs du monde. L’action se déroule dans les années 30, pendant la Grande Dépression, la foule qui gronde dehors est celle des petites gens des Raisins de la Colère. La pièce est publiée en 1947, la deuxième guerre mondiale vient de se terminer, l’économie est encore à genou, les Trente Glorieuses n’ont pas encore commencé. Ne sommes-nous pas à nouveau dans une de ces époques l’économie est à plat, où, quand on ne sait plus quoi faire, on cherche un responsable à immoler ?
Laetitia Lebacq donne une belle Lizzie, solaire, lumineuse, enjouée, presque trop propre, dans un appartement presque trop beau, certainement pas innocente. Elle réalise la belle performance de laisser parfois échapper, dans sa façon de s’exprimer la vulgarité sous jacente de Lizzie, dont elle veut sortir, pour elle, s’en sortir, c’est laisser les nombreux clients de passage pour deux-trois réguliers, il faut avoir les arguments pour les séduire et les conserver. Les effets fonctionnent, qui tombent à point pour baisser la tension du spectateur.
Sa Lizzie est convaincante, qui m’a laissé m’interroger sur son niveau d’opportunisme. Dans mon souvenir de La P… Respectueuse(*), elle était victime jusqu’au bout, ce soir, je n’en étais pas persuadé. Fred et Lizzie ont chacun obtenu ce qu’ils voulaient, chacun va en payer le prix, qui a le vrai pouvoir sur l’autre, qui tient l’autre par les c… jusqu’à la fin de ses jours ? J’ai senti que ,derrière ce parti pris, une pointe de féminisme venait renforcer le pouvoir de Lizzie.
Vous aimez le théâtre qui pose des questions, qui fait réfléchir sur des situations intemporelles, qui vous laisse trouver votre réponse ? N’hésitez pas à aller voir La Putain Respectueuse.
A La Folie Théâtre jusqu’au 20 juin 2021
jeudi 19h15 – samedi 18h00 – dimanche 16h30
Texte : Jean-Paul Sartre
Avec : Lætitia Lebacq, Bertrand Skol, Philippe Godin, Baudoin Jackson
Mise en scène : Laetitia Lebacq
(*) quand j’ai vu mes premières représentation de la P… respectueuse, à l’époque du club théâtre du lycée, P… était un mot qu’on ne prononçait pas, mais on disait allègrement N… Maintenant on ne dit plus N…, et le président de la république dit Putain à la télévision. Les temps changent. Ni en bien, ni en mal, juste ils changent, et on s’adapte, de toutes façons on n’y peut rien.
Une réflexion sur “La Putain Respectueuse”