Quand deux hommes qui inventent des conversations pour les autres rencontrent une femme qui cherche à s’ennuyer pour que le mois qui lui reste à vivre lui paraisse plus long, tout est normal. Un texte poétique à savourer, une pièce à voir au Théâtre de Belleville.
Crédit photo : Guillaume Ledun
Quand je suis entré dans la salle, Paulbert (Vincent Debost) était dans sa boutique, inspiré, notant des idées dans un petit carnet à spirale. Rejoint, dès l’extinction de la salle, par Gérald (Olivier Broche). Les voilà partis dans la répétition chaotique d’une conversation téléphonique. C’est leur métier, écrire des conversations pour les gens qui ne savent pas quoi dire. Arrive Barbara (Anne Girouard), qui cherche une bouteille de vin et la rue Boulard. Gérald sort, revient. Il a profité de ce que madame Dur, une voisine, se rend dans une épicerie de la rue Boulard pour lui demander de rapporter une bouteille de vin.
Tout le goût de la pièce est déjà là. Chaque moment est parfaitement normal, parfaitement justifié. Plus les moments s’enchainent, plus la logique et le bon sens s’évanouissent, plus le non sense et la poésie apparaissaient.
Il y a du Perec, du Queneau, du Becket dans le texte de Pierre Bénézit, qui décrit, logique après logique, ouvre un univers d’une logique implacable, un point de départ pour un très beau voyage, un voyage dans ce monde où tout a déjà été écrit. C’est un tableau de Signac, sans prendre de recul, on passe à côté.
On va passer par… un brouhaha pour gare à deux voix… la façon d’organiser un enterrement surprise… l’affirmation que tous les mots ont déjà été inventés (forcément, certains mots, téléphone par exemple, ont longtemps attendu l’invention de l’objet qu’ils désignent, et nous ne sommes pas à l’abri que la vraie signification d’autoroute ne soit pas celle que nous croyons)… ou la découverte de ce qui s’est vraiment passé le soir des Noces de Cana.
Je suis totalement rentré dans le jeu d’Olivier Broche, sa diction et sa gestuelle particulière, son air lunaire, jamais surpris, toujours étonné. Dans celui de Vincent Debost aussi, empathique, cordial. J’étais plus réservé sur celui d’Anne Girouard, pas plus étonnée que ça de se retrouver dans une épicerie où on vend maintenant des conversations, pas plus touchée que ça de mourir dans un mois, comme si elle aussi trouvait tout ça… normal. Jusqu’au retournement final. C’est vrai, tout était normal. Forcément, puisque tout a déjà été écrit.
Un regret ? Il en faut un. Que le texte de la pièce ne soit pas vendu à la sortie de la salle. Il y a tellement de bons mots à savourer dans ce texte qu’on voudrait pouvoir les citer, parce que… Penser qu’on ne pense à rien, c’est déjà penser quelque chose… Y a-t-il plus de passé ou plus de futur ?… Le premier qui est mort, ça a du lui faire bizarre…
Un autre ? Mémorable, la différence entre un temps et un silence, un temps, c’est un silence où on ne joue pas, alors qu’un silence ça se joue.
Au théâtre de Belleville jusqu’au 4 mars 2018 mardi-samedi 19h15 – dimanche 15h00