
Je vous écris dans le noir – Théâtre de l’Opprimé : Sylvie van Cleven vient dire la vérité de Pauline Dubuisson, la seule femme contre laquelle on a requis la peine de mort pour un crime passionnel, dont Brigitte Bardot avait joué le rôle au moment où elle sortait de prison.
Du plafond tombe un étais auquel est accrochée une bouse, à ses pieds trois cahiers bruns. Un hamac de toile pend, une femme y attend. Dans les hauts parleurs, des vagues, des mouettes, une mélopée chantée en arabe, des voix de femmes. J’aime la langue arabe. Je ne comprends pas du tout ce que disent les femmes arabes, mais j’aime cette langue.
Cette femme paisible, apaisée, c’est Andrée Dubuisson, médecin à Essaouira. Pauline Dubuisson en fait, elle a tué un homme, pris son deuxième prénom, qui était d’abord celui de son père, elle est aimée, va se marier, pour se marier il faut un extrait d’état civil, Jean, son fiancé, préférera Pauline, c’est plus joli, ce soir elle va lui raconter sa vie. Toute sa vie.
Une vie qui commence auprès de son père, qui a fait une belle guerre en 14-18, qui lui apprend à chasser, elle écoute le chant des oiseaux. Maintenant, elle est médecin, c’est sa vocation, faire du bien.
Pauline Dubuisson vient nous dire sa vérité. En 1943, elle avait 15 ans, son père a habillée en femme fatale pour favoriser ses affaires avec l’hôpital allemand, elle devient la maîtresse du médecin chef. Plus tard, c’est la Libération, elle est tondue, violée, libérée par son père qui a retrouvé son aura de soldat glorieux. La voilà étudiante en médecine, amoureuse, fiancée, elle raconte son histoire à Félix, son fiancé, qui en profite, la repousse…
Pauline Dubuisson a eu son heure de célébrité, on a requis la peine de mort contre elle, Brigitte Bardot a joué son rôle dans La Vérité, le film Henri-Georges Clouzot sorti sur les écrans au moment où elle était libérée pour bonne conduite, on trouve facilement sa biographie.
Ce n’est pas son histoire que Jean-Luc Seigle a écrite, mais sa vérité, la façon dont elle a vécu sa vie, dont elle aurait pu la raconter, elle se serait voulue médecin et indépendante, elle se retrouvait dans l’étau d’une histoire qui la dépasse, aux prises avec les journalistes qui sont sur ses traces. On sent qu’il s’est attaché à cette femme, qu’il voudrait nous la faire comprendre comme la fille simple et naïve qu’elle aurait dû rester. Cette femme qui ne veut qu’entendre une dernière fois le chant des oiseaux.
Je n’ai pu m’empêcher de noter la présence sépulcrale du père, que les psychologues prendront le temps d’analyser dans le détail, ce père qui utilise sa fille de 15 ans comme un objet, qui sait gommer sa propre collaboration, qui se suicidera quand sa fille sera devant la justice. Comme j’ai été saisi par les images de l’amour inconditionnel de la mère.
Dans une mise en scène qu’elle cosigne avec Gilles Nicolas, enchâssée dans les très belles lumières de Lucie Joliot, Sylvie Van Cleven se laisse habiter par Pauline Dubuisson. Elle lui donne vie sur scène avec une intensité rare, on ressent autant sa soif de vivre que sa lassitude face à un destin auquel elle ne peut échapper, sa soif de jouissance comme son désir de solitude, dans un jeu parfois complexe, toujours ciselé.
Un beau moment de théâtre, que je vous recommande de voir sans avoir rien cherché sur l’Affaire Dubuisson, vous pourrez plus facilement vous laisser emporter par le personnage qui est sur scène et oublier le poids qui pèse sur ses épaules quand, à 33 ans, on peut voir Brigitte Bardot jouer son rôle.
Au Théâtre de l’Opprimé jusqu’au 06/02/2022
Du mercredi au samedi : 20h30 – dimanche : 17h00
Texte : Jean-Luc Seigle adapté par Evelyne Loew
Avec : Sylvie Van Cleven
Mise en scène : Gilles Nicolas, Sylvie Van Cleven
Visuel : Christophe Gsell