Amour amère – Comédie Bastille

Amour amère à la Comédie Bastille emmène le spectateur dans les méandres de l’amour inconditionnel, le conduit à s’interroger sur des questions éternelles, lui laisse la conclusion, le soin de se juger autant qu’il jugera le personnage. Avec Jean-Pierre Bouvier, monstrueusement bon.

Sur scène, deux bancs, l’évocation de l’avant d’un cercueil. Dessus, quelques fleurs, une photo. Le bruit d’une réception. Un homme entre, s’assied. Allume une cigarette. « C’est dur de s’en défaire. Des habitudes ».

Cet homme, c’est Édouard, dans le cercueil, il y a Marie, ou Marie-Jo, Marie-Joséphine. Sa femme. Édouard n’a pas vraiment l’habitude de se livrer, quand on vient lui dire que Marie-Joséphine était une femme extraordinaire, tout ce qu’il sait répondre c’est « Certes ». Pourtant, cigarette après cigarette, Édouard va se livrer, nous parler de Marie-Jo, de leur différence d’âge, de leur histoire d’amour. De leur rencontre.

Tout les opposait, pourtant. Marie-Joséphine, une famille aisée, une mère à principes, mariée jeune à un homme d’affaires qu’elle n’aimait pas. Édouard, abandonné à la naissance, passé par 12 familles d’accueil et les marines, ouvrier dans un garage. Dès le premier regard, leur relation devient fusionnelle, l’homme d’affaires s’en rend compte, Édouard donne des poings. Édouard et Marie-Jo vont tout faire ensemble, monter une entreprise, élever deux filles, frôler la mort, rire, jusqu’à ce que le cancer les attaque tous les deux, elle est partie la première, il ne lui reste que quelques mois à vivre.

Édouard est triste, en colère, enragé. Mais Édouard est heureux. Heureux d’avoir pu vivre une si belle histoire d’amour. Heureux d’avoir été avec elle jusqu’au bout de leurs vies. Heureux de leur dernier jour, Marie-Jo est rentrée mourir à la maison, après deux jours de pluie il faisait beau, ils étaient ensemble, ils se sont confiés leurs ultimes secrets.

C’est le twist, qui remet tout en place, la pièce entre dans le mythe, je ne vous en dirai rien.

Quand Jean-Pierre Bouvier est entré en scène, éclairé de dos, j’ai cru voir Jack Nicholson. Il porte la pièce comme il habite le personnage, avec une immense énergie et un grand talent, de ces talents qui vous attrapent du regard en entrant sur scène, vous emmènent dans tous les recoins de l’histoire de la façon qu’ils ont choisie, et vous laissent à la fin le cœur chiffonné, les tripes serrées, le cerveau en ébullition. Il signe également la mise en scène, ramenée à l’essentiel, rien d’inutile, au service du texte, du personnage et de l’acteur.

Amour amère parle d’amour, de l’amour entre Édouard et Marie-Jo, de l’amour d’Édouard pour Marie-Jo. On a tous en tête l’idée qu’il n’y a pas de plus grand amour que l’amour inconditionnel d’une mère pour son enfant, mais l’amour d’Édouard pour Marie-Jo n’est-il pas aussi grand, aussi fort ? Quand ils se rencontrent pour la première fois, Marie-Jo est assise dans à l’arrière d’une voiture, Édouard ne voit que ses yeux. Dans cet accident sur une route de montagne, il y a cinq morts, Marie-Jo était allongée sur la banquette arrière, Édouard nous raconte son bonheur, son rire, quand elle se relève enfin, couverte d’éclats de verre. Deux moments essentiels, où Édouard emporte Marie-Jo dans son amour absolu, inconditionnel, où l’inéluctabilité de leur amour efface toute la violence qui est autour.

Amour amère est une pièce fine, qui ne juge pas son personnage. Elle laisse le spectateur face à une interrogation, sa réponse à cette interrogation viendra de lui, de sa réflexion, de ses valeurs, de ses angoisses. S’il finit par prendre position, ce sera sur sa propre solidité, sur sa réaction sur des sujets éternels, les vies tracées par la volonté des parents et la tradition, le secret et son pouvoir de nuisance, ce que l’amour amène à faire.

Pour faire une grande pièce, il faut un sujet fort, un texte bien écrit, un grand acteur, une mise en scène qui se laisse oublier, il faut en sortir en pleine réflexion, libre de trouver ses réponses. Il faut que le spectateur emporte la pièce avec lui, que la fin n’appartienne qu’à lui. Amour amère est une grande pièce.

Il serait vraiment dommage de manquer l’alchimie entre Neil Labute, Dominique Piat et Jean-Pierre Bouvier.

A la Comédie Bastille jusqu’au 29/03/22
Lundi – mardi : 21h00

Texte : Neil Labute
Version française : Dominique Piat
Mis en scène et interprété par : Jean-Pierre Bouvier

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