
L’Espèce Humaine à l’Opprimé : les mots de Robert Antelme, mis en scène par Claude Viala, font sentir le poids du froid, de la faim, du temps. La déshumanisation d’une part d’elle même dont l’humanité a été capable. Un spectacle juste, nécessaire. Un spectacle à voir et à faire voir.
Sur la scène, cinq hommes sont assis autour d’une table, papiers, verre de café. L’un d’eux commence à lire. Je suis allé pisser, il faisait encore nuit. Il y a un toit sur la fosse où s’accumulent les matières. Pas sur la pissotière. Très vite, le texte n’est plus lu, il est dit, l’un prenant le relais de l’autre.
Le 1er octobre 1944, un groupe de prisonniers de Buchenwald est mis dans un train pour Dachau. Dans des wagons pour animaux.
Le texte de Robert Antelme est la mémoire de leur vie, jusqu’au printemps 1945. Un texte fort, intense. Sans plainte.Ce sont encore des enfants, des enfants dont on veut faire des animaux qu’on laisse mourir dans la faim, le froid, avec le temps. En leur donnant le minimum pour qu’ils arrivent à travailler. Sur des cellules d’avions qui ne seront pas utilisées, elles sont la raison qu’ont quelques allemands de ne pas partir au front.
Dans ce texte, chaque mot est précis. L’autre est un copain, celui avec qui on partage le pain, le pain dont ils reçoivent une ration le matin, que certains mangent d’un coup, dont d’autres gardent un morceau pour le soir. Le soir c’est la soupe, claire, rarement viendra le rab.
Dans ce texte, chaque mot est juste. En les recevant, le spectateur reçoit au fond de lui une part de ce qu’ils ressentent, une part de leurs sensations.
C’est du théâtre, bien sûr, du très bon théâtre. C’est aussi un travail de mémoire, un travail nécessaire, au moment où les témoins disparaissent, où leurs enfants, qui ont recueillis leurs mots au retour des camps, prennent eux aussi de l’âge, au moment où l’actualité veut banaliser les faits. Il y a la mémoire des faits, celle de l’historien, une mémoire froide. Gommer l’humanité des prisonniers, qu’est-ce que ça veut dire ? En faire des animaux, est-ce que ça parle à l’enfant dont le seul animal connu ronronne bien au chaud dans son panier?
Claude Viala, dont la mise en scène est là encore très juste, a baigné dans les mots de Robert Antelme, elle porte ce projet depuis plus de 15 ans, accompagnée dans ce voyage par deux des membres de la distribution.
Grace à elle, grace à Geoffroy Barbier, Hervé Laudière, Rafael Perichon, Thierry Verin, Christian Roux (en alternance avec Vincent Martin), j’ai – un peu – compris ce que ressentaient les copains de Robert Antelme, comment, au sens le plus quotidien du terme, ils ont tenu face à ce process de déshumanisation, comment ils ont résisté. Comment l’arrivée du printemps 1945 a été difficile, comment entendre au loin le son du canon…
Le meilleur mot pour parler de ce spectacle est le mot juste. Le texte, la mise en scène, le jeu des acteurs, tout est juste, précis, fin. Programmer ce spectacle est juste, c’est préserver la mémoire du quotidien des faits. Aller voir ce spectacle, y emmener des ados, des scolaires, de jeunes adultes est juste. Leur faire sentir la faim, le froid, le temps, c’est leur faire sentir ce dont a été capable l’humanité. C’est éveiller leur attention à ce que ça ne se reproduise pas. C’est juste. Écoutez les informations. C’est nécessaire en fait.
Un texte, un spectacle à côté duquel on ne peut pas passer, un spectacle nécessaire.
Au théâtre de l’Opprimé du 05 au 16 janvier 2022
Du mercredi au samedi : 20h30 – dimanche 17h00
Texte : Robert Antelme
Avec : Geoffroy Barbier, Hervé Laudière, Rafael Perichon, Thierry Verin, Christian Roux/Vincent Martin
Mise en scène : Claude Viala