
Giordano Bruno, le Souper des Cendres à La Reine Blanche : pour les curieux de l’histoire des sciences, de l’histoire des idées, des semi-oubliés de l’histoire, pour ceux qui aiment réfléchir. Pour les curieux.
Sur la scène, un billot, une contrebasse. Le 17 juillet 1815 (*), à Rome, Napoléon Bonaparte demande le transfert des archives du Vatican à Paris. Le temps qu’elles arrivent, plus d’empereur, le Vatican n’a pas les moyens de payer leur rapatriement, elles sont brûlées, vendues… Parmi elles, les minutes du procès de Giordano Bruno. Pourtant, le 15 novembre 1940, le cardinal Mercati retrouve 600 pages de ces minutes dans les archives laissées par Pie IX 600. Le Cosmos est pour l’homme l’espace du silence.
Benoît Di Marco nous emmène sur les traces de Giordano Bruno, à travers de larges extraits de ses livres et de ces minutes. Né Filipo Bruno dans une famille modeste, il reçoit une bonne éducation, devient Frère Prêcheur, découvrira l’amour entre hommes. Sa curiosité, sa mémoire, son ouverture d’esprit l’ont emmené dans une double réflexion, astronomique autour de la place de la Terre dans l’univers philosophique autour de celle de l’homme. Il se pose les questions éternelles, que se posaient déjà les grecs, auxquelles Ptolémée et Aristote avaient donné des réponses, ces réponses que les observations de Copernic ou de Tycho Brahe viennent remettre en cause. Il pose une cosmologie qui remet en cause les dogmes de l’église catholique, laquelle le traduit devant le tribunal de l’Inquisition. Refusant d’abjurer ces vérités, Giordano Bruno sera condamné au bûcher, emmené la langue clouée pour se taire, par un tribunal auquel sa dernière adresse sera Vous qui prononcez ma sentence, vous avez plus peur que moi qui la subis.
Au delà de son aspect historique, le spectacle est surprenant par la modernité du propos de Giordano Bruno. Par ses réflexions, sa vision, qui sont toujours pertinents de nos jours, par ses interrogations sur le sens du temps. Par le côté désarmant de cet homme qui assume publiquement ce qu’il pense, ce qu’il est, ce qu’il vit, qui en accepte les conséquences, sans abjurer, qui pourtant reste croire en un Dieu qui est en l’homme et non à côté de lui.
Accompagné par une contrebasse parfois un peu trop présente, qui permet de beaux jeux d’ombres, Benoît Di Marco sert le texte avec une urgence saisissante, un texte parfois onirique, parfois lyrique, parfois combatif, parfois instructif, parfois sensuel, jamais ennuyeux. Il donne un Giordano Bruno aussi capable d’expliquer une cosmologie avec enthousiasme que d’exprimer la douceur de sa sensualité, sans jamais tomber dans la pompe ni la déclamation.
L’histoire a retenu Galilée, qui a poursuivi la réflexion de Giordano Bruno, et qui pourtant a abjuré. L’histoire a plusieurs fois oublié la personne qui avait fait la trace, pour retenir une personne plus idéale, sans défaut, dont la sexualité, s’il en a une, est conventionnellement vanille. Comme Claudette Colvin, Giordano Bruno avait un défaut majeur aux yeux de l’histoire, et c’est peut-être là une dernière leçon à tirer de la pièce.
Pour les amateurs de l’histoire des sciences ou des idées, qui retrouveront la cosmologie de Giordano Bruno. Pour ceux qui sont curieux des semi-oubliés de l’histoire. Pour ceux qui aiment réfléchir, tout simplement.
Texte : Giordano Bruno + minutes de son procès – adaptation Laurent Vacher
Avec : Benoît Di Marco, Clément Landais / Philippe Thibault
Mise en scène : Laurent Vacher
Photo : Nasa
(*) j’ai du mal entendre, à cette date là Napoléon n’est plus empereur