Les personnages m’ont embarqué, la pièce m’a scotché, j’ai savouré, je suis sorti la gorge (dé)nouée.
Sur scène, une bande blanche délimite un carré, la taille d’un ring de boxe, sur les côtés, deux tabourets rouges. On entend des cloches, deux acteurs dos à dos. Ils tournent, alternent deux moments, dans une maison, on fait cuire un gigot, dans une autre, on a du mal à se réveiller.
Il y a Mireille, la mère. Il y a Jacques, Jacky d’Albi, agent immobilier, râleur impénitent, le mari. Stanislas, l’enfant sage, il travaille avec son père. Il y a Roxane, la femme de Stanislas, elle est enseignante, et enceinte. Il y a Tristan, l’enfant rebelle. Juliette. Pierrot. Nanou. Ernest, le père de Jacques, il végète dans la maison de retraite Les Mimosas.
Mireille sait qu’elle n’a plus que quelques mois à vivre, elle a réuni sa famille pour Pâques.
Il y a tous ces personnages… et pourtant il n’y a que deux acteurs, qui enchainent les personnages.
Je vais faire mon mea culpa. Quand j’ai reçu le dossier de presse, je n’ai pas eu envie de voir la pièce. Ca devait être encore une performance pour la performance. Ou une histoire naturaliste ennuyeuse. Ou un truc qui tomberait dans le pathos ou l’exubérance. J’ai zappé. Jusqu’à entendre « Allez voir Les Bois Dont Je Suis Fait, c’est top de chez top ». Parce que j’ai zappé à tort, et que Le bois dont je suis fait, c’est vraiment top top top.
Il y a la performance de Julien Cigana et Nicolas Devort. Simplement vêtus de noir, sans autres accessoires que deux tabourets, ils font vivre une galerie de personnages, des personnages aussi attachants les uns que les autres, on les aime tous, on n’en déteste aucun. On rit avec eux, on rit affectueusement, on sourit parce qu’on est touché, à aucun moment on ne se moque. Ils m’ont embarqué sans jamais que mon attention ne retombe.
Il y a l’histoire, l’histoire simple d’une famille, une famille où il y a des choses qui vont, d’autres qui ne vont pas, une famille comme toutes les familles.
Il y a la mise en scène, millimétrée, sans que jamais elle conduise les acteurs à en faire trop. Un geste mesuré, une posture, une mimique, Mireille devient Tristan, Tristan devient Ernest, Jacques devient Stanislas.
Le bois dont je suis fait, c’est ça. Quelque chose qui m’a scotché. Quelque chose qui atteint un sommet sans jamais en faire plus que juste ce qu’il faut. Quelque chose devant quoi on dit « Waow, c’est juste excellent ». Tiens, si c’était une recette de cuisine, ça serait… ça serait salé, pas sucré… ça serait un soufflé, garni d’œufs brouillés. Quelque chose dont on se demande en le voyant arriver comment ça a été fait… et qu’on déguste en oubliant la question, parce que c’est juste bon, alors on ne se pose pas de question, et on savoure.
Je suis sorti la gorge nouée, nouée de l’histoire que je venais de découvrir, nouée de mon histoire, forcément aussi. En marchant dans la nuit, ma gorge se dénouait petit à petit.
Au Théâtre de Belleville jusqu’au 25 mars 2019
Lundi 21h15 – Dimanche 20h30
Texte : Julien Cigana et Nicolas Devort
Avec : Julien Cigana et Nicolas Devort
Mise en scène : Clotilde Daniault