You don’t own me – Théâtre L’Echangeur (Bagnolet)

You don’t own me à l’Echangeur : une jeune femme, captive pendant huit ans, placée face au tribunal de l’opinion qui ne comprend pas qu’elle s’en soit sortie. Un spectacle surprenant, une mise en scène déroutante, un propos dérangeant, qui convaincra tous ceux qui savent laisser leurs tripes guider leur perception

Sur la scène, deux gradins blancs. Noir, bruit de circulation. Des pas, une portière qui claque. Voix off : Là on trouve la trace de ses pas, et maintenant elle a disparu.

Le noir dure, bien plus que la séquence habituelle qui permet d’installer l’action. Il crée un univers sonore, des bruits extérieurs, la voix d’un homme, par fois brutale, celle d’une petite fille. Une petite fille dont on entend les pensées. Plus tard, la petite fille a été libérée, la voilà invitée d’une émission de télévision, face à une journaliste qui cherche le scoop, face à trois invités qu’elle dérange, ils ne comprennent pas qu’elle ne se pose pas en victime haineuse. Plus tard encore, le spectacle bascule dans une étrange danse chamanique.

You don’t own me s’inspire de l’affaire Natascha Kampusch. En Autriche, une petite fille de dix ans a été enlevée par un homme qui l’a gardée prisonnière pendant huit ans. Elle s’est échappée, il s’est suicidé, elle n’a pas répondu aux attentes des médias, de la police, du public. Elle était isolée, prisonnière, elle s’est éduqué, elle s’est présentée en femme solide, sans étaler de souffrance ni de haine, sans raconter les détails des huit dernières années de sa vie. Une vie dont elle considérait qu’elle n’appartenait qu’à elle.

Le spectacle est construit en trois longues séquences. J’ai commencé par le recevoir avec ma tête, le trouver étrange, dérangeant. Quand j’ai commencé à le recevoir avec mes tripes, il m’a totalement embarqué, fasciné, convaincu.

La première séquence place le spectateur dans l’univers mental de la petite fille. Il est dans le noir, il ne lui reste plus que les sons. Petit à petit, il comprend comment elle a construit un monde intérieur, son monde intérieur, qui lui a permis de ne pas sombrer, grâce auquel elle a résisté à cet homme qu’elle devait appeler Maestro. Il ne sait pas d’où vient sa force, le sait-elle elle-même, il sait que cette force est là, est-ce une force surprenante pour une petite fille de dix ans, c’est plus qu’un instinct de survie, c’est un instinct de vie. Un instinct de vie qui dérange notre monde quand elle y revient, sans justement vouloir exposer les détails de ce qui était son intimité.

Deuxième séquence, la petite fille est devenue une jeune femme, elle est en France, elle participe à un talk show qui se transforme vite en tribunal de l’opinion. Un tribunal inquisitoire, qui juge l’écart entre la réserve de la jeune femme et la posture victimaire qu’il attend d’elle. Présidé par une journaliste qui se pose en Torquemada des temps moderne. Autour d’elle ? Une actrice, pour le registre de l’émotion. Enceinte, jouant Andromaque tous les soirs, elle s’assure essentiellement que ce n’est pas elle qui a été retenue captive pendant huit ans, que ce n’est pas son enfant à naitre qui a passé huit ans dans une cave. Un ancien policier, pour le registre du réel, ce qu’il ne sait pas lui est suspect, il est à la recherche du détail qui cloche, il doit vérifier que tout a été fait et bien fait par la société, qui donc n’est pour rien dans cette aventure. Un psychiatre, qui détient le savoir, il sait ce qui s’est passé dans sa tête, comment elle va évoluer, il le dit et, ne pouvant rien faire, s’en lave les mains en lui souhaitant bon courage. La jeune femme répond aux questions, posément. Sans laisser percer ce qu’elle considère relever de son intimité, sans les aider à trouver la réponse à la seule question qui les intéresse : pourquoi n’est-elle pas conforme à l’image qu’ils se font de ce que doit être une victime.

Troisième séquence, l’exorcisme expiatoire. Dans une ambiance qui n’est pas sans rappeler celle des deux derniers épisodes du Prisonnier, la société va se débarrasser de la gêne qu’elle éprouve face au comportement de cette petite fille qui a su se construire dans ces conditions révoltantes.

Julie Fonroget, qui l’a conçu et mis en scène, signe un spectacle surprenant. Il m’a fallu, pour chacune des trois séquences, un temps de découverte, de compréhension, avant de me laisser embarquer dans ce tribunal de l’opinion qui juge une jeune femme qui a su trouver en elle la force de se construire au fond de sa cave, qui la rejette parce qu’elle n’a pas besoin de compassion. L’engagement de la distribution, Jade Maignan déroule une étonnante partition de réserve et d’immobilité, face au tribunal que forment Moïra Dalant, Clémence Laboureau, Jean-Marc Layer et Raouf Raïs, tous très justes dans leur posture.

You don’t own me est un spectacle surprenant, dont le titre s’adresse autant à Wolfgang Přiklopil qu’au tribunal des médias. S’il peut dérouter par sa mise en scène et déranger par son propos, il convaincra tous ceux qui savent débrancher leur cerveau pour laisser leurs tripes recevoir les émotions des personnages.

A L’Echangeur (Bagnolet) jusqu’au26/03/22
Du lundi au samedi : 20h30 + mercredi, jeudi : 14h30

Conception et mise en scène Julie Fonroget
Avec Moïra Dalant, Clémence Laboureau, Jean-Marc Layer, Jade Maignan, Raouf Raïs
Avec les voix de Pierre-Marie Baudoin, Félicité Chaton, Emmanuelle Coutellier, Sandrine Deschamps, Séphora Haymann, Catherine Jabot, Cyrille Labbe, Jean-Christophe Laurier, Malvina Plégat, Vincent Remoissenet

Visuel :

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