
Les Femmes de Barbe Bleue au Théâtre Paris Villette : Lisa Guez sort les femmes de Barbe Bleue du cagibi où elles sont enfermées, qui démontent pour nous le mécanisme qui a conduit à leur perte. Une pièce à ne pas rater.
Sur la scène, cinq chaises, de styles différents. Une femme, robe rouge, talons. Elle sourit, Il y a du monde, c’est la grosse fête ici… Bientôt elle est seule, son mari n’est pas là, il lui a laissé une clé, étrange, qui reste froide même quand elle essaye de la réchauffer.
La clé ouvre une porte, à l’entresol. Une porte qu’il est interdit d’ouvrir. Mais chez elle, l’interdit engendre le désir, plus elle voit la porte, plus éprouve le désir de l’ouvrir. Elle ouvre. Elle trouve.
Derrière la porte, quatre femmes, habillées de bleu, dansent, brisées. Quatre personnalités, quatre milieux, quatre rencontres avec M. Bleu, qui se finissent toujours une clé à la main face à une porte interdite, même la plus rationnelle d’entre elles, qui n’ouvrait pas la porte, est là. Ensemble, elles explorent leurs relations, comment elles auraient dû agir pour ne pas finir ici.
Le lecteur attentif de La Barbe Bleue retrouvera avec bonheur les mots de Charles Perrault, et chaque spectateur aura sa lecture des Femmes de Barbe Bleue. Pour n’en retenir qu’une… Face à un prédateur comme M. Bleu, une femme ne peut s’en sortir sans être jugée si elle ne reçoit pas d’aide extérieure. Quels que soient ses atouts, qu’elle soit jeune, riche, éduquée et belle, une baroudeuse expérimentée, une business woman rationnelle, une bombe de sensualité vorace, quand le piège se referme sur elle, la voilà coupée de ses intimes, dans le déni. Au spectateur de comprendre que la personne qui s’isole de ses proches, abandonne ses études… pour s’inscrire dans un bonheur béat est peut-être sous l’influence d’un prédateur.
Jordane, Nelly, Valentine, Anne, chacune à sa façon s’adresse à un niveau de la perception de M. Bleu, sa tête, son coeur, ses tripes, son sexe. Chacune croit le séduire, il s’adapte, chacune y perd la vie. De la même façon, j’ai été sensible à la qualité du jeu de Mathilde Panis, Anne Knosp, Nelly Latour et Jordane Soudre, recevant les émotions exacerbées de chacune par le même centre nerveux que M. Bleu. Sans oublier la femme en rouge, insaisissable Valentine Krasnochok, qui a mis le texte en forme sous la direction de Lisa Guez, qui signe également une belle mise en scène, agile et malicieuse, soulignée par des lumières de Lila Meynard et Sarah Doukhan, ponctuée par les musiques d’Antoine Wilson et Louis-Marie Hippolyte, l’influence de Gainsbourg n’est pas loin. Belle mise en abyme, Gainsbourg, Initials BB, qui des deux était le prédateur de l’autre ?
Les Femmes de Barbe Bleue est de ces pièces dont je sors désarçonné, dubitatif, dont je me réveille supporter enthousiaste quand la nuit a fait son travail de décantation. La clé de ma compréhension est simple, elle tient dans la couleur d’une robe rouge.
Une pièce à ne pas rater.
Au Théâtre Paris Villette jusqu’au 30 mars 2022
Mardi, mercredi, jeudi, samedi : 20h00 – vendredi : 19h00 – dimanche : 15h30
Puis Le Passage (Fécamp) : 01/04/22; Théâtre de Poche (Chartres) : 07/05/22; Théâtre du Bois de l’Aune (Aix en Provence) : 12-13/05/22; Nuits de Fourvière (Lyon) : 01-02/07/22; Théâtre Octobre (Lomme) : 12/07/22
Texte : écriture collective dirigée par Lisa Guez, mise en forme par Valentine Krasnochok
Avec : Valentine Bellone ou Mathilde Panis, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Ninon Perez ou Nelly Latour, Jordane Soudre
Mise en scène : Lisa Guez