Je n'ai qu'une vie – Des émotions à partager

Sur la scène, une simple chaise en bois, de ces chaises qu’on trouve dans les bars, les collectivités. Une flûte, aiguë. Debout, s’adressant à Edwige, sa professeure assise, une jeune femme se lance dans le monologue de Phèdre, Mon mal vient de plus loin. A peine au fils d’Égée Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée… soutenue pas sa professeure, Oui… Bien… Je ne t’ai pas demandé de t’interrompre ! A qui t’adresses-tu ?

Edwige a passé quatre-vingt ans, elle a toujours l’énergie de ses vingt ans, l’âge de la jeune actrice à qui elle fait répéter son monologue, et avec elle, le spectateur prend aussi une leçon de théâtre.

Bérengère Dautun est Edwige. Elle déploie son énergie avec bonheur, et la coquetterie de jouer le rôle d’une actrice au parcours similaire au sien… juste un peu plus jeune qu’elle. J’ai éprouvé un immense plaisir à la voir occuper l’espace, prendre la lumière, jouer avec Clara Symchowicz sa partenaire, jouer avec le public. Ses yeux pétillent, elle sourit, elle va au bout de chacun de ses gestes.

Si l’aînée a gardé l’énergie de ses vingt ans, la jeune actrice en a l’insolence. Dans ce théâtre désert, elle va pousser Edwige dans ses retranchements, parcourir à nouveau les grands moments de sa vie. Sa vie amoureuse, un premier mariage, un premier divorce, un deuxième mariage, plus long. Sa carrière d’actrice, le premier prix de comédie au conservatoire, le Français, où elle passera trente ans. Sa relation avec son père. Edwige qui joue Le Roi Se Meurt, Edwige au centre de la vie de laquelle il n’y a eu que le Théâtre, Edwige qui a toujours refusé de jouer Phèdre.

Ensemble, soutenues par une ambiance musicale qui ne déparerait pas un film d’Hitchcock, elles vont se livrer à un duel à coups de miroirs qui poussera Edwige dans ses derniers retranchements, un duel dont elle ne pourra sortir que face à elle même.

C’est là que la magie du théâtre atteint son paroxysme, quand Bérengère Dautun prend une distance amusée avec le personnage qui l’habite, quand elle se dévoile avec pudeur, sans exhibitionnisme.

Que reste-t-il d’une représentation ? Le souvenir des spectateurs. Il y a un vrai beau souvenir à se faire en allant voir Ma Vie En Aparté. Un zeste de masterclass, une pincée de thriller, un duel à miroirs tirés, le tout servi par une grande dame du théâtre.

Au Studio Hébertot jusqu’au 27 avril 2022
Lundi : 19h00 – Mercredi : 21h00

Création : Gil Galliot
Avec : Bérengère Dautun, Clara Symchowicz

Visuel : Christine Aires