
J’ai toujours voulu faire bien aux Déchargeurs : une pièce nécessaire, à voir. Un cri tripal, viscéral, qui emporte le spectateur, lui fait ressentir les émotions d’une Femme victime des violences de son conjoint. Regardez la.
Sur la scène vide, une femme est allongée. Un homme entre, debout. L’infirmière m’a dit que ça se verrait. Si elle était morte, les morts sont gris.
Dans un hôpital, une femme attend qu’on s’occupe d’elle, elle est tombée dans la rue, elle a perdu la mémoire. Elle reconnaît cet homme, elle sait qu’elle l’aime. Ils rentrent, dans un appartement où elle ne retrouve pas ses marques, où il y a des traces de sang, du sang qu’il ne voudrait plus voir. Ses amis, ses parents ? Elle a coupé les ponts, plus de portable. Elle est enfermée, pour la protéger. Les coups reprennent, c’est sa faute, à chaque fois l’homme demande pardon, la culpabilise, veut recommencer à zéro. Au fond d’elle même, la femme trouve un reste de volonté, un chemin vers une liberté. Seule, la société est moyennement aidante. Jusqu’à ce qu’on la voit. Regardez-moi.
Waow. Putain de pièce. De ces pièces dont on sort le souffle coupé, en déglutissant difficilement, avec le besoin de parler, d’échanger.
Il y a le texte. Très fort. Une langue déstructurée, percutante. Il y a la mise en scène, maîtrisée, de belles idées au service du texte. La lumière, qui rend toute scénographie inutile, elle est le quatrième acteur. Et puis il y a les acteurs. Ils portent la pièce, la servent du plus profond d’eux même.
La Femme. Elisa Habibi. Superbe. Elle m’a attrapé le cœur, arraché les tripes. Elle a tiré, serré, avec son jeu viscéral. Tripal. Organique. Je pourrais retourner voir la pièce juste pour suivre son regard. Pour me laisser emporter par le torrent de ses émotions, dont chacune est juste.
L’Homme. Belle composition de Paul Delbreil. Une ombre qui rôde. Impossible de ne pas le détester, et pourtant, on voudrait faire confiance à cet innocent manipulateur. Rien n’est de sa faute, il demande pardon, à recommencer à zéro.
Sans oublier les interventions de Laurette Tessier. L’intérêt narratif de la première est discutable, le spectateur a besoin de la seconde pour reprendre son souffle. La première partie le lui a coupé, ce n’est rien à côté de la seconde, tenir toute la pièce en apnée serait difficile.
Des pièces qui parlent de violence conjugale… j’en ai vu quelques unes. Des didactiques, qui traitent d’un sujet de société. Des narratives, qui racontent une histoire en particulier. J’ai toujours voulu faire bien est différente. C’est un cri. Le cri d’une Femme qui subit les coups d’un Homme. Une immersion dans l’action. Dans les émotions. Le spectateur n’est plus témoin, il subit. Avec la Femme. Il crie Regardez-moi. Comme Elle. Il comprend, il ressent. Les émotions, pas les coups. Puisse-t-il sortir en pensant à cette amie avec qui le contact s’est perdu, avec l’idée de l’appeler, d’aller la voir, savoir si elle va bien. Puisse-t-il ne pas détourner le regard.
Aux Déchargeurs jusqu’au 21/12/21
Dimanche, lundi, mardi : 21h00
Texte : Claire Bosse-Platière
Avec : Paul Delbreil, Elisa Habibi, Laurette Tessier
Mise en scène : Claire Bosse-Platière
Compagnie : Viscérale
Photo : Marx Krap
PS pour Fléchette : je comprends que cette pièce te parle, que tu as envie d’aller la voir. Tu es encore un peu petite, on va attendre que tu aies 15 ans, 16 ans plutôt, et si elle se joue encore, on ira la voir.