Je te pardonne (Harvey Weinstein)

Avec Je te pardonne (Harvey Weinstein), Pierre Notte aborde #MeeToo et l’évolution du regard de la société sur la femme. Une pièce énorme, une comédie musicale qui traite de façon jouissive et érudite d’un sujet grave, un grand coup de cœur à voir absolument.

Sur la scène, un piano à queue, des chaises à cour, à jardin, en fond de scène. Une table, ou un bureau. Une paire de chaussures à talon. Pendant que les spectateurs se placent, la troupe vient sur scène, nous pose quelques questions, qui a fait un test PCR, qui ne vient pas de Paris, qui a eu une MST récemment. Noir, la pièce commence, revisite Peau d’Âne, la princesse est délurée, ne joue pas le jeu de pouvoir de son père, accepte, tout est déphasé. Ah, et sinon il manque des œufs pour faire des crêpes.

Bon. Si vous êtes du genre cul serré, ou si vous n’avez pas connu la paire infernale que forment les cours d’éducation sexuelle et les premiers émois amoureux, n’allez pas voir la pièce, les premiers détesteront, les seconds passeront à côté. Les autres ? vous cessez de lire, et vous vous ruez pour prendre un billet, parce que vous allez prendre un pied intégral.

Sous une forme qui s’approche de la comédie musicale, Je Te Pardonne convoque Harvey Weinstein, le place face aux femmes qu’il a abusées, dont il a abusé. Ces femmes, ces actrices, ne sont pas seules. Avec elles, pour elles, d’autres femmes défilent à la barre. Les grandes voix, Christine Taubira, Elisabeth Badinter. Les victimes dont on connait le nom, la femme de chambre de la suite 2806 du Sofitel New York. Les femmes inconnues, jeunes, très jeunes. Dans le box, Harvey Weinstein n’est pas seul, Roman Polanski est là, et Gabriel Matzneff. Louis Althusser, qui a écrit une si belle définition de l’amour, et n’en a pas moins étranglé sa femme. Catherine Deneuve, et tous ceux qui, par leur génération ou leur éducation, trouvent qu’au fond tout cela n’est pas bien grave, que la gauloiserie fait partie de notre culture.

Pendant ce temps Harvey Weinstein se transforme, il gagne des fesses, des seins et de la cellulite, il perd ses parties génitales. Prédateur dominant, mâle Alpha, Harvey Weinstein découvre sa part de féminité, l’accepte. Sans pour autant que le spectateur ne lui pardonne.

La forme est festive, le sujet est grave, on est au cœur de la génération #MeeToo, qui a fait bouger les lignes. Le sujet est grave, il est traité de façon large, érudite, le spectateur attentif entendra beaucoup de choses, toujours en perspective, souvent en lien(*). Le sujet est grave, et Pierre Notte n’hésite pas à le traiter de façon militante, associant les mots voilées et violées dans la même phrase. Le spectateur au cul serré, l’intégriste et le phallocrate sortiront rouges de colère, qui n’auront pas supporté l’image que Pierre Notte leur a renvoyée d’eux même. Les autres continueront le combat, assumeront leur part de féminité, comprendront l’absence d’importance de la mollesse de leur bandaison, revisiteront leurs souvenirs.

Je suis sorti en revisitant les miens, un, en particulier. Un chanteur qui avait perdu son prénom pour animer les émissions pour enfants, puis retrouvé son âme de vieux lion anar pour chanter les règles bleues des publicités, qui avait fait rire une salle de la Butte aux Cailles en commentant les pleurs d’une petite fille, qui dix ans après s’en souvenait encore pour le regretter, j’étais là ce soir là, et j’ai rigolé, comme tout le monde, j’étais là, aussi, pour épiloguer. En la matière, il n’y a pas de leçon à donner, juste une attention permanente à avoir.

Et le spectacle ? Magique. Il y a le texte, qui file, et les chansons, qu’on voudrait emporter. La distribution, idéale, Pauline Chagne, Marie Notte, Pierre Notte, Clément Walker-Viry, ils fonctionnent bien ensemble, ils s’amusent, leur plaisir de jouer transparait, fait chaud au cœur du spectateur, lui donne à savourer ce grand moment de théâtre.

J’ai vu de belles pièces, j’ai vu des pièces qui traitaient de sujets lourds, parfois très lourds. J’ai vu des pièces jubilatoires, exubérantes, truculentes. Avec Je Te Pardonne, Pierre Notte signe une pièce jouissive, qui traite d’un sujet grave de façon festive et érudite. Une sacré performance, une pièce énorme.

Il m’a juste manqué deux choses : un CD du spectacle, pour pouvoir en écouter et réécouter les chansons, et son texte, pour retrouver tous les détails à coté desquels je suis passé.

Au Théâtre du Rond Point jusqu’au 26 juin 2021
Du mardi au samedi – 01/06 – 17/06 : 19h00 / 18/06 – 26/06 : 21h00

Texte, musique, mise en scène : Pierre Notte
Avec : Pauline Chagne, Marie Notte, Pierre Notte, Clément Walker-Viry

(*) par exemple : la taille du clitoris; le rôle actif de l’ovule lors de la fécondation; la non nécessité de la pénétration dans l’acte sexuel; la découverte du plaisir anal chez l’homme; le nombre de femmes excisées en France; la bonne façon de dire entre c’est de ma faute et c’est ma faute.

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