Iphigénie

Une mise en scène épurée au service du texte ciselé de Racine, un parti pris inscrit dans notre actualité, Stéphane Braunschweig donne une superbe version d’Iphigénie à l’Odéon Berthier

(c) Simon Gosselin

Sur la scène… en fait, il n’y a pas de scène. Il y a un podium, qui ressemble à celui des défilés de mode, deux chaises blanches sont posées dessus, à son extrémité, une porte en verre, une fontaine à eau. Les spectateurs sont assis sur des chaises blanches, eux aussi, de chaque côté du podium, par deux.

Iphigénie, c’est un monde à l’arrêt. Alors que la flotte grecque s’apprêtait à mettre les voiles vers Troie, le vent est tombé brutalement, mettant en panne la machine de conquête. Consulté en secret, le devin Calchas révèle le seul remède à la crise : sacrifier aux dieux la jeune Iphigénie, fille d’Agamemnon. La Grèce doit-elle payer ce prix exorbitant, pour continuer sur sa lancée initiale, et respecter les promesses glorieuses qu’elle s’est faites à elle-même ? C’est ce que prône Ulysse pour qui il n’y a pas d’alternative. Ou faut-il voir dans ce coup d’arrêt, dans cette proposition inacceptable, le signe divin que l’expédition à Troie sera un désastre ? Les chefs de guerre s’interrogent avec inquiétude sur leur avenir et celui de leur civilisation. Heureusement, dans cette drôle de tragédie, tout “finit bien”: c’est une autre victime, l’étrangère de la pièce, qui tombera finalement sous le couteau de Calchas. Les Grecs pourront repartir au combat sans perdre l’une des leurs. Le vent souffle à Aulis, l’épopée reprend souffle, l’Histoire poursuit sa marche conquérante. Pour le meilleur et surtout, sous-entend Racine, pour le pire. Cette pièce étrange et baroque, faite de grand siècle et de rituel sanglant, d’intimités torturées et de calculs politiques, a inspiré à Stéphane Braunschweig un projet en résonance avec notre époque.

Un projet lancé pendant la période du confinement, pendant laquelle le temps était suspendu, pendant lequel nous attendions que le monde redémarre, comme les grecs attendaient que le vent se lève, et comme eux, nous étions attentifs au moindre signe. Un projet monté de façon à ce que les acteurs respectent la distanciation, entre eux et vis à vis des spectateurs, ils sont rarement face au public, la distribution est doublée de façon à ce qu’un test positif ne stoppe pas immédiatement les représentations.

La mise en scène est épurée. Pas de grands moulinets qui soulèvent la toge, pas de mouvements de groupe, les acteurs sont en costume de ville, le moindre geste est essentiel. Les alexandrins sont là, ni déclamés ni scandés, les voix sont justes, soutenues par des micros, le texte est dit, parfois chuchoté. L’espace est immense, le parti pris est intimiste, on est au cœur des sentiments des personnages, il y a le texte, juste le texte, tout le texte, tel que Racine l’a ciselé, marqueté, pour nous emmener au plus profond de la psychologie de ses personnages.

Le spectateur est en contrebas, il choisit la direction de son regard, champ, contre champ, il reçoit le texte de Racine. Je ne suis généralement pas fan des micros au théâtre, quand ils sont des béquilles. Ici, ils sont essentiels. Le spectateur est au cœur du texte, comme les grecs, comme pendant le confinement, il attend, et son attente le rend part à l’action.

J’ai savouré Claude Duparfait qui livre un Agamemnon tout en nuances, on ressent le doute, la souffrance et l’hésitation qui le hantent. Face à lui, Thibault Vinçon est un Achille monolithique et convaincant, Suzanne Aubert une Iphigénie qui passe avec talent par toutes les nuances de la colère.

Je suis sorti sur une interrogation, la dernière image avant le noir, son sens m’a échappé, je l’ai reçue comme un cliffhanger dont je me demande ce qu’il annonce.

La salle a salué la représentation par des applaudissements chauds et nourris, de notre côté les Bravo ont fusé, l’autre côté semblait plus réservé. Comme si d’un côté les grecs se réjouissaient que le vent se lève enfin, de l’autre les troyens… moins.

Du grand théâtre, au service d’un texte marqueté, inscrit dans son temps. À aller voir à l’Odéon – Berthier.

Au Théâtre de l’Odéon – Ateliers Berthier – jusqu’au 14 novembre 2020
Du mardi au samedi : 20h00 / dimanche : 15h00

Texte : Jean Racine
Mise en scène et scénographie : Stéphane Braunschweig
Avec (en alternance) : Sharif Andoura, Jean-Baptiste Anoumon, Suzanne Aubert, Astrid Bayiha, Anne Cantineau, Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Claude Duparfait, Ada Harb, Glenn Marausse, Thierry Paret, Pierric Plathier, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Jean-Philippe Vidal, Clémentine Vignais, Thibault Vinçon

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