Une Bête Ordinaire. Une putain de pièce jouée par une putain d’actrice, dont je suis sorti le cœur en miettes, les yeux humides, la gorge trop serrée pour crier Bravo.

Sur la scène, une perche bleue, qui ressemble à l’enseigne du coiffeur dans Lucky Luke, avec un demi vélo attaché. Une toute petite chambre, petit lit, petite chaise, petite télé, la décoration orange et marron l’envoie dans les années 1970, la perspective en biais la rend encore plus petite. Devant la scène, un clavier, un synthé, un vieux poste de radio.
Elle arrive par la salle, doucement, dans l’ombre. Elle joue d’une boite à musique qui lit une longue carte perforée, comme un piano mécanique. Une petite fille seule, sur un manège, qui ne crie pas, qui ne sourit pas, qui tend l’argent pour payer ses tours sans fin. Une petite fille qui a disparu, dans son pull sans forme.
Elle a sept ans, ses seins ont commencé à pousser, l’un, puis l’autre. Son univers, là où elle commande, c’est le garage à vélos. Elle y reçoit les petits. Elle y reçoit les petits, qui payent pour regarder et frôler. Les grands de CE2, qui regardent, touchent et doivent montrer. Dans le garage à vélos, elle est le parrain, un parrain sans sentiments.
Pas de sentiments non plus chez elle, c’est le conflit permanent. Elle s’invente un héros, un père, Jacques Mesrine, elle le connait à travers la télé, la radio. Elle imagine qu’il l’emmène.
Un soir, elle monte sur le dôme du manège.
Putain de pièce, et putain d’actrice. Je suis sorti le cœur en miettes, les yeux humides, la gorge trop serrée pour crier Bravo.
Ce qui fait la qualité de certaines pièces, c’est le silence des spectateurs, leur concentration, le petit rire qui surgit de ci, de là, pour diminuer la tension. Le silence était solide, à couper au couteau. Une bête ordinaire, tout est dans le titre. On ne connait pas le prénom de cette petite fille, elle pourrait être l’Amandine de Monsieur Motobécane, la Lucy Jordan de Marianne Faithfull…
Une bête ordinaire, c’est le texte, fort. C’est la scénographie, focalisante. C’est le jeu de Jade Fortineau, bluffante de vérité, à la fois petite fille qui découvre son pouvoir et femme qui a grandit avec ce passé. C’est la musique de Philippe Thibault, impressionnant au bord de la scène, une musique présente, nappes de synthé, clavier, guitare, looper, une BO de film, ce n’est pas une ponctuation, c’est le second personnage de la pièce.
Oui, une bête ordinaire, c’est une putain de pièce, jouée par une putain d’actrice.
Aux Déchargeurs jusqu’au 30 novembre 2019
Du mardi au samedi : 19h00
Texte : Stéphanie Marchais
Musique : Philippe Thibault
Avec : Jade Fortineau, Philippe Thibault
Mise en scène et décors : Véronique Bellegarde
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