Monsieur Motobécane est une pièce témoignage, une poupée russe qui vous remet face à vos souvenirs, vos doutes, vos peurs. Une belle pièce, dont on ne sort pas indemne.

Sur la scène, un espace de planches, carré, en pente. Accrochée au plafond, une mobylette, une bleue, sur son porte bagage, un caisse à bouteilles, des bouteilles. Ailleurs, un casque.
Monsieur Motobécane est assis, il est tout seul, dans sa chambre à barreaux, il a demandé un cahier pour écrire sa vérité. Les gardiens se sont moqués de lui, pourtant il est fier de savoir écrire, il ne manque pas un S dans ce qu’il écrit. On lui a donné un Bic 4 couleurs, il aurait préféré un crayon à papier, ce n’est pas possible, il faudrait un taille crayon, et en prison, les objets coupants. Alors il écrit. Sa vie, et sa vérité.
Sa vie, celle d’un homme simple, qui a quitté l’école à quatorze ans pour travailler à la ferme de ses parents. Au décès de son père, son frère a eu les terres, qu’il a vendues. Lui a eu la maison, il y vit avec sa mère et son nouveau conjoint, seul témoin de l’accident du père. Eux au rez de chaussée, lui au grenier, la maison est petite. Il vit de la collecte des bouteilles de verre, il sillonne les routes de Picardie sur sa bleue, il les rapporte, pour la consigne.
Sa vérité, c’est celle d’un homme seul, simple, naïf, qui un jour a croisé sur sa route Amandine, petite fille de huit ans, maltraitée par sa mère, qui sèche l’école parce qu’elle ne peut pas faire ses devoirs. Deux êtres blessés, l’un recueille l’autre, se retrouve embarqué dans une saga qui le dépasse, est accusé du pire.
Je suis sorti de la représentation avec des sentiments très ambigus. J’avais apprécié le texte, la mise en scène, le jeu, la langue. A aucun moment je ne m’étais attaché au personnage, l’empathie n’était pas là. Quelque chose me gênait. Même très simple, très naïf, Victor aurait dû réaliser, il n’est pas hors du monde, d’ailleurs au fond il réalise, il attend un irréparable qui le sortirait par magie de la situation, un irréparable qui ne vient pas.
Avec la nuit s’est ouverte l’armoire aux souvenirs. Bambois, avec son pilon, dans le Sud Ouest, qui vivait de glanage dans une masure en ruine, se déplaçait sur un vélo à une seule pédale. Yves en Normandie, qui vivait de petits boulots, avec son frère, seuls dans la petite maison héritée de leurs parents, une mobylette pour deux et le vin triste. Ils sont Motobécane, et Motobécane c’est eux.
Monsieur Motobécane, la pièce, est une poupée russe : à chaque fois qu’on croit avoir fait le tour d’un niveau de lecture, il y en a un autre. Il y a Victor, et puis Amandine. Il y a la mère. Il y a la bonne conscience, c’est rassurant la bonne conscience. On ne l’aimait pas, d’ailleurs vous voyez bien, il n’est pas net. Oui mais regardez, il avait de bonne intentions, d’ailleurs il ne lui a rien fait, il s’en est bien occupé, il s’est juste retrouvé dépassé. Oui mais non, non mais oui.
La petite poupée, la dernière, celle qui ne s’ouvre pas, ça reste Amandine, pour elle personne n’a rien vu, sauf Victor. Lui, on imagine son destin sordide en prison. Mais elle, qu’est-ce qu’elle est devenue ?
Monsieur Motobécane, le personnage, c’est l’ogre, un ogre moderne, celui dont on peut se servir pour faire peur aux enfants qui ne vont plus en forêt, vous voyez bien, lui n’a pas mangé la petite Poucette, mais il aurait pu, et d’ailleurs ce n’est pas passé loin…
Si vous aimez les pièces qui dérangent, celles qui témoignent, racontent une histoire pas très belle la racontent de belle façon, qui vous laissent face à vos doutes, vos peurs, vos souvenirs…
Au Théâtre de Belleville jusqu’au 31/01/2020
Novembre : dimanche 17h30 / lundi 19h00
Décembre : lundi-mardi 19h00 / mercredi 21h15 / dimanche 17h30
Janvier : mercredi 21h15 / jeudi-vendredi 19h00 / samedi 17h00
Relâche : 24-25-31/12 – 1-2-3-4/01
Texte : Bernard Crombey d’après Le Ravisseur de Paul Savatier
Avec : Bernard Crombey
Mise en scène : Catherine Maignan et Bernard Crombey avec Maurice Benichou
Scénographie et lumière : Yves Collet.
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