Arc en sexe – Prostitutions parle avec humanité de prostitué.e.s, de leur vie, de leur destin, parce que derrière chaque moment vendu d’un corps, il y a une personne, avec toute son humanité.
J’ai fait un voyage dans le temps, avec Arc en sexe.
Au tournant des années 70-80, j’ai beaucoup travaillé chez un distributeur du boulevard de Sébastopol, nous avions ouvert une vitrine rue Saint Denis, haut lieu, à l’époque d’une certaine prostitution. Forcément, entre commerçants du quartier, quand le chaland se faire rare, on papote, on discute, on se lie. A l’époque, j’avais plusieurs copines putes (c’est le mot qu’elles employaient). Louis XVI, Mamie Nova, Sandrine… J’en ai retenu de sacrées leçons de vie, des maximes. Des moments étranges, quand Sandrine venait le week end, en civil et avec ses enfants, leur acheter des disques, un walkman. La fois où j’ai livré en urgence un magnétoscope dans une pièce où… Les entendre discuter de travaux de maçonnerie tout en faisant des œillades aux passants. Les clients, aussi. Le papy souriant, qui venait une fois par semaine, à vélo, avec sa pince à pantalon, ne mettait jamais d’antivol, et qui, l’acte terminé, restait discuter tout l’après midi. Leur vision de leur prostitution acceptée (elles disaient choisie), par opposition à celle de certaines autres filles qui la subissaient vraiment (elles disaient abattage). De leur conception d’un certain service public.
J’ai reçu la pièce de Naïsiwon El Aniou avec beaucoup de nostalgie et d’émotion. La nostalgie de cette époque, l’émotion de voir des choses vraies, des choses qui n’ont pas changé.
Arc en sexe, c’est une suite de moments de vie. Des femmes, des hommes, qui se croisent, se parlent. Des êtres humains. Dans une chambre, une vitrine à Amsterdam. Des femmes séparées de leur enfant à la naissance. Des femmes qui n’ont pas oublié leurs rêves de petites filles. Des êtres humains. Qui parlent, qui pleurent, qui rient. Qui aiment.
Des moments de vie joués, dansés, par six acteurs en alternance.
Des moments de vie qui font des destins, celui du client/photographe, qui sait faire de beaux cadeaux, de ceux « qu’on ne mettra pas pour travailler ». Celui de Malika, avant elle s’appelait Gilles, son père l’a toujours appelée par le nom de son frère, sa mère a attendu d’être veuve pour l’appeler Malika. Celui de la prostituée sur Internet, qui pose sans raccrocher son téléphone, elle s’exhibe devant une webcam, elle reprend sa conversation une fois le temps terminé. Celui de la prostituée âgée, revenue des vitrines d’Amsterdam, elle n’arrivait plus à payer son loyer. Les longues soirées dans le froid, avec la concurrence des filles de l’est, qui ont encore moins de choix. On évoque le cas des enfants, des compagnons. Du jugement de la société.
Voilà. C’est surtout ça qui m’a plu dans Arc en sexe. La pièce décrit. Elle décrit la réalité, la réalité d’une certaine tranche de prostitution. Elle laisse de côté certaines autres tranches plus glauques, plus sordides. Elle passe un message de fraternité, d’humanité. Ces filles (pour 85 %, et les 10 % de garçons, et les 5 % de transgenres) sont des personnes, regardez les pour ce qu’elles sont avant de les juger pour ce qu’elles font.
« Tu sais, quand je bosse avec mon cul, je peux faire autre chose avec ma tête, alors que toi, plus tard, quand tu bosseras avec ta tête… ». C’est pas dans la pièce, c’est dans mes souvenirs. Je les ai un peu pris dans la gueule.
Vous avez l’esprit un peu ouvert ? Allez voir cette pièce. Sans voyeurisme. Juste pour vous penser, la prochaine fois que vous en croiserez une, que derrière la prostituée, il y a une personne.
A La Folie Théâtre – jusqu’au 7 avril 2018 – du jeudi au samedi à 21h30
Par la compagnie Le Makila