Parfois, il faut oser pour faire avancer les choses. Une femme Extraordinaire qui se joue à La Folie Théâtre est une pièce qui ose sacrément, qui défend un point de vue et l’assume. Anna Stern et Daniel Hederich, les acteurs, ont l’impudeur de jouer le texte d’Arthur Vernon, c’est déjà, en soi, une sacrée performance. A réserver aux yeux qui ne se choquent pas facilement.
Lila et Renaud s’aiment, ils forment un couple libre, sexuellement libre, au sein duquel le mensonge, même par omission, est interdit. Lila est mannequin lingerie, elle a un corps parfait, ses partenaires sont célèbres. Elle rêve de devenir chanteuse. Renaud est metteur en scène. Ils s’aiment passionnément. Ils s’aiment au point d’imaginer de se marier.
Âmes sensibles, Pères la Pudeur, ligues de Vertu, décrochez là.
Au début de la pièce, Lila est à Milan, pour un shooting Aubade. Au téléphone, elle lit à Renaud le livre qu’un de ses anciens amants lui a consacré. L’excitation de la séquence les emmène à… bref. Lila rentre plus tôt que prévu. Retrouvailles passionnées, ils sont vite nus, font l’amour. Devant nous.
Vu comme ça, on dirait une séquence du théâtre des Deux Boules (pour les plus jeunes, un ancien théâtre érotique qui était rue des Ecoles à Paris et dont le pitch était « ils font l’amour dans un filet au dessus de vos têtes » ). Alors soyons clair : ce sont deux acteurs qui jouent un texte dans lequel ils font l’amour, ce n’est pas du porno, ni de l’exhibition. Ils osent le jouer, nus, leurs corps en contact, sans zones interdites. Ils le jouent pour porter un propos, exprimer une idée, et pas pour être matés par le loup de Tex Avery (là encore, que les plus jeunes remplacent par une référence actuelle).
Âmes voyeuses, à votre tour de décrocher.
Pour ceux qui restent, ceux qui ont l’esprit ouvert, la pièce continue.
Petit à petit, Lila se découvre, manipulatrice, menteuse, qui n’est pas ce que Renaud croit qu’elle est. Renaud, qui s’en doute, enquête, cherche les indices, trouve, prouve.
Dans leur univers, il y a Fabrice Lucchini (un peu ridiculisé par la caricature qui le représente en train de se masturber au pied du lit où Lila et sa femme ont un rapport). Il y a René, à qui Lila dit aussi Je t’aime, et dont Renaud ne connaît pas l’existence. Les parents de Lila, qui jouent son jeu, qu’elle contrôle aussi. La passion charnelle. Le pouvoir de la femme.
Le pouvoir de Lila c’est le désir qu’elle inspire, la passion qu’elle inspire à Renaud, passion sensuelle, sexuelle, dominatrice. Le désir qu’elle inspire à René, collectionneur fétichiste de ses culottes. L’arme de Lila, c’est son corps, son corps parfait, avec lequel elle contrebalance le pouvoir de l’homme, ici essentiellement économique. L’arme de Lila, c’est son sexe, le sexe, qu’elle monnaye. La contrepartie, c’est la solitude sexuelle de certains. La solitude sexuelle que l’argent est un des moyens de combler, oui, René est un Sugar Daddy, il y en a d’autres, plus glauques encore, et que la pièce n’évoque pas.
C’est tout le propos de l’acte III de montrer que l’homme autant que la femme bénéficieraient d’un rééquilibrage de ces pouvoirs. Soit. Dans l’univers propre de la pièce, j’ose croire que le pouvoir est déjà équilibré. Dans cet univers propre.
J’ai apprécié le jeu de Daniel Hederich et d’Anna Stern. Ils osent jouer ce texte, ils osent se mettre en zone de risque. Ils osent jouer des pratiques sexuelles conventionnelles (si vous avez besoin d’une explication… je ne peux rien pour vous) ou moins conventionnelles (le bondage Shibari qui figure sur l’affiche).
J’ai apprécié de voir un zeste de candeur dans le regard d’Anna Stern. Elle (je veux dire son corps) est plus visible, elle n’est pas blasée. Autant Daniel Hederich joue sa passion méfiante sur une gamme de plusieurs octaves, autant Anna Stern joue sur quelques notes qui renforcent l’impression que tout ça est pour Lila une mécanique. Est-ce qu’il reste un peu de naïveté au fond de Lila ? Je ne sais pas.
La mise en scène est astucieuse, elle joue avec les flashbacks du texte de quelques éclairs de stroboscope, sans nous perdre, un ours en peluche géant prenant la place de Renaud quand Renaud vient commenter le moment qu’il a vécu. Quand elle veut montrer la passion et la duplicité, les choses sont claires. Tout autant quand il s’agit de montrer que le pigeon n’est pas dupe.
J’ai adoré la séquence où Renaud s’interroge face à sa psychiatre empathique, pop, Lila vautrée-désincarnée est face à un inspecteur qui cherche à comprendre, pop, la situation tourne à nouveau.
Une Femme Extraordinaire, c’est une pièce qui réussit à oser sans tomber dans l’exagération exacerbée. Je la conseille à ceux qui sont capables d’apprécier un théâtre différent, une démonstration avec des outils différents. Si vous y allez avec des œillères ou des certitudes, vous serez choqués, ou déçus.
A La Folie Théâtre, du jeudi au samedi à 21h30, jusqu’au 27 janvier 2018.