Je me suis laissé surprendre et embarquer par l’alchimie de Le Bouge, un spectacle inclassable qui se donne au Soum Soum, et qui ne peut laisser indifférent.
Avant de vous parler du spectacle, je voudrais vous parler du lieu, c’est un tout, le spectacle n’existerait pas sans le lieu. Le Soum Soum est un club au sous sol de la rue Dalayrac (Paris 02), un petit bar, une petite scène, de quoi asseoir 25 personnes et en accueillir debout 10 de plus. C’est une aventure de passionnés emmenés par Raymond Dikoumé qui aiment le théâtre, les artistes, le spectacle vivant.
Un bouge, c’est un cabaret mal famé (ça, c’est selon le flyer; le Robert ajoute que le lieu est sordide et mal fréquenté). Le spectacle commence dès la rue, dès l’accueil de Didi, arpenteuse professionnelle des rues glauques.
Alors on rentre, on descend, on est dans le bouge, on est dans Le Bouge. Accoudée au bar, Cléestine, la tenancière, mère maquerelle décatie, on est bien dans un bouge, le spectacle n’est pas sur la scène, le spectacle investit le lieu. Le temps d’une consommation, d’attendre les derniers spectacteurs, que la régisseuse finisse les derniers réglages, et c’est parti, voilà les filles du Bouge.
Elles vont chanter, danser, s’engueuler dans la salle et sur scène, on est dans un bouge, pas au bar du Meurice. Le spectacle s’interrompt, se passe mal, voilà une coupure technique, une autre interruption, on est dans un bouge, pas au Crazy Horse.
Elle s’engueulent pour le partage de la recette, sur la nature de leurs clients, l’une abuse du vin rouge (sa seule rémunération), l’autre va se repoudrer dans les toilettes, elles vivent.
J’ai particulièrement apprécié les sentences de Célestine, tenancière décatie et désabusée, qui ressemble enfin à Bardot, qui est bien dans sa peau (d’ailleurs elle en a plus qu’avant). J’avais presque envie de l’entendre dire « Je suis jeune depuis plus longtemps que vous« , parce qu’au fond, c’est ce qu’elle est restée. Elle ose, elle est sincère, naturelle.
Bien sûr le spectacle n’est pas parfait, les voix ne sont toujours pas posées, le jeu est parfois approximatif, la technique ne suit pas pile poil (certains problèmes techniques ne faisaient d’ailleurs pas partie de la mise en scène).
C’est cette sincérité, cette générosité, cet entrain, et sans doute aussi ces approximations, qui m’ont embarqué, emporté, j’étais dans un bouge, j’étais dans Le Bouge, et Le Bouge, il est comme ça, c’est une fille des rues qui se donne avec générosité, et pas une escort de palace qui picore sa feuille de salade sans assaisonnement.
Un spectacle, c’est une alchimie, un texte, un lieu, une mise en scène, des acteurs, leur jeu. Dans le Bouge, l’alchimie prend, en tout cas elle m’a prise, emporté, et j’en suis sorti remonté, de bonne humeur, en forme, comme si j’avais dîné d’un plat canaille accompagné d’une bonne bière.
Allez-le voir, ce spectacle. Allez passer une soirée au Bouge, elle ne vous laissera pas indifférent. Parce que personne n’oublie les filles du bouge.
Au Soum Soum – vendredi à 21h00
Un spectacle éligible aux P’tits Molières (ça fait du bien de voir dans la sélection cette salle et ce spectacle atypiques).