En sortant du Théâtre 13, j’avais les yeux pleins de l’histoire de Babacar, et de son trajet désespéré depuis le Sénégal, pleins des larmes de Gina à la fin de la pièce. Babacar ou l’Antilope, c’est l’histoire d’une rencontre improbable, impossible, une histoire d’amour, de la catégorie de celles qui finissent mal, l’histoire dramatique d’une migration. J’avais le sentiment d’être passé à côté des séquences chorégraphiées pendant lesquelles tous les 8 acteurs sont sur scène en même temps.
Je revoyais les étapes de Babacar, le migrant à l’optimisme résigné chevillé au corps, face au garde frontière dont le reste d’humanité est un jeu pervers, face à l’administration qui gère des dossiers et des statistiques en omettant ce qu’elle considère comme un inévitable humain sous jacent. Je revoyais la transformation de Gina, larve consolaire qui se découvre femme.
Ce matin, ce sont au contraire les séquences de groupe qui m’obsèdent, ces danses orchestrées par un personnage halluciné qui ferait passer le Joker dans Batman pour un être paisible et bienfaisant, qui dressent le portrait d’un monde incompréhensible dans lequel personne ne fait l’effort de s’intéresser à l’autre. Monsieur H, dans son uniforme orange, son manteau, son maquillage. C’est un leader, un leader violent, un leader destructeur, la terre vole, il tire les lignes des frontières, monte les barbelés. La ligne est bien tirée, du point A au point B. Le barbelé est dressé sur la ligne, mais pourquoi cette violence, pourquoi le point A est-il là ? Pourquoi sont ils aussi violents, aussi monstrueux ? Sont-ils humains, sont-ils spectateurs sur la défensive ou acteurs manipulés ? Une ébauche de réponse vient peut-être de l’Avare, celui de Molière, réduit à l’essentiel, quand Harpagon croit que Valère a volé sa cassette quand il n’a pris que le cœur de sa fille.
Comme souvent au Théâtre 13 Seine, la mise en scène tire un beau parti de l’immense plateau, la lumière est magnifique, et les acteurs sont dedans et justes.
Salle pleine au tiers (un mardi soir) et enthousiaste. La violence et le désespoir du propos me font conseiller d’éviter d’emmener des yeux trop sensibles ou immatures.