
Les vivants et les morts au Rond Point : une tragédie musicale réaliste qui entremêle la fin de l’usine cœur d’une petite ville de province et l’amour tout puissant d’une jeune femme pour son homme. Nostalgique et savoureux.
Sur la scène, un piano, deux saxophones, une cymbale. Au fond, treize chaises attendent le chœur. Les comédiens entrent… Mon nom c’est Rudi, elle c’est Dallas ma femme…
On est à Raussel, dans l’est de la France, une de ces villes de province qui vivent autour d’une usine, la Kos. Quand la pluie devient déluge, la ville se mobilise pour sauver l’usine. Plus tard l’actionnaire allemand va lancer un plan social, ouvriers et ouvrières se mobilisent à nouveau, préservent ce qui peut l’être. Plus tard encore, l’actionnaire allemand vend à un fonds américain, qui décide de fermer définitivement l’usine.
Les vivants et les morts est l’adaptation d’un roman de Gérard Mordillat paru en 2005 et qui a déjà fait l’objet d’une adaptation à la télévision, diffusée sur Arte. C’est l’histoire de ces hommes et de ces femmes, racontée à travers le filtre de Rudi et Dallas. Rudi est un bon ouvrier, qui pourrait intégrer la maîtrise, qui reste solidaire de ses camarades. Dallas travaille dans l’équipe du matin, l’après midi elle garde les enfants du directeur, elle fait encore des ménages, et des extras, le samedi soir, à la brasserie. Ensemble, ils ont un enfant, une petite maison, des dettes. Sans leurs emplois, ils coulent. Plus tard, on apprendra que Rudi a une relation parallèle, on le verra faire par noblesse d’esprit des choix que Dallas ne comprendra pas. On verra ensuite Dallas se battre pour retrouver / récupérer son homme, en utilisant tous les moyens à sa disposition.
Les parapluies noirs de la scène d’exposition posent les choses, on n’est pas dans l’univers naïf et acidulé des Parapluies de Cherbourg, on est dans le réalisme dur des vallées de l’est de la France dont le bois et l’eau ont fait la richesse, pour lesquelles la logistique est devenue coûteuse.
Adapté pour la scène par Hugues Tabar-Nouval et François Morel, Les vivants et les morts prend la forme d’une tragédie musicale réaliste. On y retrouve la description très juste du fonctionnement d’une entreprise industrielle, où l’activité tient sur la maintenance et le réglage de machines qui elles aussi vieillissent. Dans cette ville mono industrie, il y a la fraternité des hommes, il y a la sororité des femmes.
J’ai ressenti durant toute la représentation une forme de nostalgie pour cette époque où les choses étaient en équilibre, l’époque d’un Parti Communiste fort, où le mot solidarité se vivait au quotidien, Gérard Mordillat en donne une description très juste, en ce compris les relations humaines, collectives et individuelles. Avec un bémol vers la fin, quand le manifeste devient de salon parisien et le monde manichéen.
Ils sont huit sur scène, acteurs, chanteurs, musiciens, qui fonctionnent en troupe chorale au fil des changements de costume, avec une mention particulière pour Lucile Mennelet, très touchante Dallas, et Patrice Valota, Lorquin particulièrement habité.
En suivant Dallas, on se souvient de ces affaires, faits divers ou menaces désespérées de faire sauter les machines avant qu’elles ne déménagent pour l’autre bout du monde, qui ont ponctué les années 80. Un autre temps. En suivant Dallas, on s’attache à elle qui, au milieu de tout ça, trouve le temps et l’énergie d’aimer. En suivant Dallas, on s’interroge, la faille est devenue climatique… dans quarante ans, comment la décrira-t-on ?
Au Théâtre du Rond Point jusqu’au 26/02/23
Du mardi au samedi : 20h30 – dimanche 26/02 : 15h30
Texte et mise en scène : Gérard Mordillat
Adaptation : Hugues Tabar-Nouval, Gérard Mordillat
Paroles : François Morel
Musique : Hugues Tabar-Nouval
Avec : Esther Bastendorff, Odile Conseil, Camille Demoures, Lucile Mennelet, Hugues Tabar-Nouval, Patrice Valota, Günther Vanseveren, Benjamin Wangermée
Chœurs : KB Harmony
Visuel : Stéphane Trapier
Une réflexion sur “Les vivants et les morts – Théâtre du Rond Point”