La Défense devant les Survivants – L’Échangeur Bagnolet

La Défense devant les Survivants à l’Échangeur Bagnolet : un beau spectacle de Clara Chabalier et Adèle Chaniolleau qui nous alertent, la technologie pour que l’éternel recommencement de l’histoire se produise au sens le plus propre des mots. Beau, et glaçant.

En bord de scène, l’escalier d’une piscine. Plus loin, une table, un parasol posé au sol. Sur le côté, deux galets géants, tout ronds. Une longue baie vitrée. Une voix s’élève dans l’obscurité…

A la lueur d’une lampe de poche, un homme barbu explore les ruines d’une île déserte. Dans ce même espace, un groupe de quatre personnes arrive, pour passer une semaine de vacances, sous la houlette de l’un d’entre eux, Morel, qui leur fait visiter ce coin de paradis. Dont ils profitent, bain de soleil, badminton, lecture.

Et puis il y a Faustine, si belle, qui aime s’isoler. Elle lit La Recherche, elle se pose sur les rochers, regarde le soleil se coucher.

L’homme barbu observe les vacanciers, vagabonde au milieu d’eux, sans qu’ils aient conscience de sa présence.

Petit à petit, une vérité se construit. Morel est un savant, qui a construit une machine qui permet d’enregistrer la vie, de la rejouer. Amoureux transi de Faustine, il a capté cette semaine de bonheur, qui, pour son seul profit, se répète sans fin dans cette île isolée du monde. Morel n’avait pas anticipé l’arrivée de l’homme barbu. Qui tombe lui aussi amoureux de Faustine. Morel n’avait pas non plus prévu que sa machine pourrait se dérégler.

Avant de lâcher prise et de me laisser emporter par l’histoire, j’ai d’abord vu dans l’homme barbu une sorte de Che Guevara qui aurait fui son destin, puis un de ces soldats japonais isolés qui ont continué à mener une guerre terminée depuis des années. Dans Faustine, j’imaginais un Faust au féminin, cherchant la vie éternelle.

Malgré elle, Faustine est au centre de tout. Elle est énigmatique, inaccessible à Morel, qui va la capturer dans son illusion, l’effacer de la réalité, pour la garder pour lui. Une illusion dans laquelle, plus tard, l’homme barbu choisira d’entrer, tout aussi séduit.

Je pensais qu’il était plus facile de rendre une femme amoureuse que de créer un monde. Je me suis trompé. Morel a créé un monde, dans lequel il conserve la femme dont il est amoureux. Il ne peut l’avoir ? Personne ne l’aura. Là aussi, il s’est trompé.

Avec La Défense contre les Survivants, que Clara Chabalier et Adèle Chaniolleau ont adapté d’un roman d’Adolfo Bioy Casarès paru en 1940, m’ont renvoyé à la réalité qui est en train de se construire. Le monde ne vous convient pas ? mettez un filtre, rendez-le plus beau, plus photogénique. Ça ne vous suffit pas ? achetez un appartement dans le Metavers. La réalité virtuelle est là, toute proche. Si vous n’êtes pas convaincus, discutez successivement avec ChatGPT, le chatbot accessible sur OpenAI, puis avec la téléassistance de votre fournisseur d’énergie préféré. Sur la scène, j’ai assisté petit à petit au déréglage de la machine de Morel, à son basculement dans une sorte de folie.

Une alerte hypnotique, dans une mise en scène menée tambour battant. La pièce dure un peu plus de deux heures, je n’ai pas vu le temps passer. Autour de Nanyadji Ka-Gara, Faustine, éthérée et poétique, Alvise Sinivia et Alexandre Pallu, Morel et l’homme barbu, mènent un combat à distance, ponctué par les interventions d’Irène, de Stoever et de Montgomery.

Un homme prêt à tout pour capt(ur)er la femme dont il est amoureux et qui l’ignore. Un autre homme, de hasard, qui intervient. L’histoire est un éternel recommencement. Clara Chabalier et Adèle Chaniolleau la mettent en abîme, nous alertent. La technologie est là, pour que ce soit, au sens le plus propre du terme, la même histoire qui se répète. Et là ce n’est plus amusant… c’est glaçant.

Au Théâtre l’Échangeur – Bagnolet jusqu’au 16 décembre 2022
Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi : 20h30 + jeudi : 14h30

D’après L’Invention de Morel d’Adolfo Bioy Casarès adapté par Clara Chabalier, Adèle Chaniolleau
Avec : Amandine Gay, Nanyadji Ka-Gara, Alexandre Pallu, Wyssem Romdhane, Alvise Sinivia
Mise en scène : Clara Chabalier

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