
Ma vie en Aparté reprend au Studio Hébertot : allez goûter ce duel à miroirs tirés, mi thriller mi enquête psychologique, une leçon de vie, de théâtre, écrite par Gil Galliot, finement servie par Bérengère Dautun et Clara Symchowicz.
Sur la scène, une simple chaise en bois, de ces chaises qu’on trouve dans les bars, les collectivités. Une flûte, aiguë. Debout, s’adressant à Edwige, sa professeure assise, une jeune femme se lance dans le monologue de Phèdre, Mon mal vient de plus loin. A peine au fils d’Égée Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée… soutenue pas sa professeure, Oui… Bien… Je ne t’ai pas demandé de t’interrompre ! A qui t’adresses-tu ?
L’une a vingt ans, l’autre a quatre fois vingt ans. Le spectateur assiste à une leçon de théâtre, il en profite. Petit à petit, la leçon de théâtre devient une leçon de vie. L’une a vingt, elle est face à son avenir. L’autre a quatre fois son âge, qui fait face à ses souvenirs. Les deux ont choisi la vie sur scène, celle qui ne laisse pas de traces, pas d’autres traces que les souvenirs des spectateurs. Elles se cherchent, se trouvent.
Dans ce théâtre désert, l’une va pousser l’autre dans ses retranchements, parcourir à nouveau les grands moments de sa vie. Sa vie amoureuse, un premier mariage, un premier divorce, un deuxième mariage, plus long. Sa carrière d’actrice, le premier prix de comédie au conservatoire, le Français, où elle passera trente ans. Sa relation avec son père. Edwige qui joue Le Roi Se Meurt, Edwige au centre de la vie de laquelle il n’y a eu que le Théâtre, Edwige qui a toujours refusé de jouer Phèdre.
Il y a Bérengère Dautun, grande dame. Elle déploie son énergie avec bonheur, et la coquetterie de jouer le rôle d’une actrice au parcours similaire au sien… juste un peu plus jeune qu’elle. J’ai éprouvé un immense plaisir à la voir occuper l’espace, prendre la lumière, jouer sa partenaire, jouer avec le public. Ses yeux pétillent, elle sourit, elle va au bout de chacun de ses gestes, le travail à la barre de chaque matin se sent.
Il y a Clara Symchowicz, elle a pris de l’assurance. Son insolence nécessaire, sa provocation apaisée, équilibrent la pièce. Tout est une question d’équilibre, celui de Ma Vie en Aparté est très juste, appuyé sur un partenariat qui fonctionne, une complicité qui se sent.
Ensemble, elles emportent le spectateur dans un moment fin, hypnotisant, savoureux.
Ensemble, soutenues par une ambiance musicale qui ne déparerait pas un film d’Hitchcock, par une jolie lumière, elles vont se livrer à un duel à coups de miroirs qui poussera Edwige dans ses derniers retranchements, un duel dont elle ne pourra sortir que face à elle même.
C’est bien là que la magie du théâtre atteint son paroxysme, quand Bérengère Dautun prend une distance amusée avec le personnage qui l’habite, quand elle se dévoile avec pudeur, sans exhibitionnisme, sur le texte que Gil Galliot a écrit pour elle.
Que reste-t-il d’une représentation ? Le souvenir des spectateurs. Il y a un vrai beau souvenir à se faire en allant voir Ma Vie En Aparté. Un zeste de masterclass, une pincée de thriller, un duel à miroirs tirés, le tout servi par une grande dame du théâtre.
Au Studio Hébertot jusqu’au 19 décembre 2022
Lundi : 19h00 – Dimanche : 17h00
Création : Gil Galliot
Avec : Bérengère Dautun, Clara Symchowicz
Visuel : Christine Aires