
Pueblo au Rond Point : David Murgia débite les mots d’Ascanio Celestini pour une épopée poétique et imaginée dans l’univers des invisibles, ceux qui soutiennent le fonctionnement de notre société, que nous ne voyons pas.
Sur la scène, voit un accordéon, une caisse en plastique debout, on peut s’asseoir dessus. Plus en arrière, deux rideaux, derrière lesquels on distingue un poste de télévision genre 70’s, une marmite en fonte, deux luminaires.
Ça part à toute vitesse, et ça ne ralentira pas. Il y a David Murgia, qui parle, chante parfois. Sa voix est reprise par un micro, c’est beaucoup plus gênant qu’utile, la salle Jean Tardieu n’est pas si grande qu’on ait besoin d’entendre l’acteur trop fort, et là où il n’est pas. Accompagné par Philippe Orivel, qui joue en direct, clavier, accordéon.
David Murgia parle, raconte, imagine. Tresse un univers à partir de ce qu’il voit de sa fenêtre, de l’autre côté de la rue. Il voit deux femmes, l’une est plus âgée que l’autre. Poète et non voyeur. Il imagine leur vie, ne cherche pas à la connaître. Une fille, une mère.
Le texte d’Ascanio Celestini tire le fil de l’imagination du poète, dans un univers peuplé de personnages auxquels on ne fait habituellement pas attention pour lesquels il crée une épopée. La caissière du supermarché devient reine, la clocharde ne fait pas la manche, les travailleurs de l’économie 2.0 qui ont réussi à traverser la mer croisent le souvenir bienveillant de ceux qui sont au fond. Ce sont les invisibles qui défilent, qui vivent, qui aiment. Ces invisibles que nous créons tous les jours par notre déni, notre absence de reconnaissance, ils sont à côté de nous, ils sont dehors, juste derrière la limite de notre champ de vision collectif.
Il y a des fulgurances savoureuses, dans ce texte, de belles maximes de vie, aussi. J’ai souvent fermé les yeux pour me laisser emporter, laisser les images m’envahir, m’abstraire de ce haut parleur inutile.
Je me suis fait surprendre par le début, par le débit de David Murgia. Si vous allez voir Pueblo, soyez attentif dès que le noir se fait. Soyez également accessible au sort des invisibles, le texte fonctionne, il est bien servi, le spectateur joue son rôle, c’est dans son esprit que se créent les images. Certaines sont difficiles, c’est aussi le propos du spectacle de vous sensibiliser à leur destin, de vous rappeler qu’ils sont, dans leur grand entrepôt, essentiels au dîner que vous consommerez ce soir.
Au Théâtre du Rond Point jusqu’au 23 octobre 2022
Du mardi au samedi : 20h30 – dimanche : 15h30
Texte : Ascanio Celestini
Avec : David Murgia, Philippe Orivel (musique)
Mise en scène : Ascanio Celestini
Visuel : Stéphane Trapier