
Le voyage d’Alice en Suisse aux Déchargeurs : une réflexion sur le droit à mourir, une plongée déjantée dans les ressorts de l’âme qui s’affranchit des barrières des genres. Un beau prix du jury de l’édition 2021 du festival Court mais pas vite
A l’avant de la scène, une toile grise, tendue. Alice vient s’asseoir au premier rang, attentive. Un panneau projeté, comme un carton de film muet, Gustav Strom, un euthanasiste, conseille Alice. Vous faites le voyage quand vous voulez…Soyez prudente.
Toute l’humanité de la pièce est dans ces deux mots. Alice, vous allez venir me voir en Suisse pour que je vous aide à quitter votre vie que vous ne supportez pas, c’est votre libre choix, sur le chemin, soyez prudente, vous pourriez avoir un accident en traversant l’avenue.
D’un côté, il y a Alice, qui est malade, qui veut en finir avec la vie. Et Lotte, sa mère, perdue, qui se rattrape comme elle peut. De l’autre, Gustav Strom, le médecin euthanasiste, paladin du droit de choisir sa mort. Entouré d’Eva, son assistante, qui vit dans le monde des idées, et de Walter, son propriétaire terre à terre. Alice a besoin de la bénédiction de sa mère pour partir, Gustav saute les blocages et les procédures successifs.
En entrant dans la salle, j’avais peur de voir un spectacle un peu glauque, trop voyeur. Je suis sorti convaincu par cette plongée déjantée dans l’âme humaine.
Dans le texte de Lukas Bärfusson, on trouve des pépites pittoresques (vous auriez imaginé une vieille qui déménage au coin de la rue en déambulateur), et nombre de maximes qui vous feront réfléchir en abyme, tout principe étant un ennemi pour l’homme. Réfléchir sur le droit à mourir, entre le droit, les principes et la morale. La mise en scène collective mélange allègrement les styles, les genres, à tous les sens du terme, sans jamais tomber dans une caricature outrancière ou un apitoiement complaisant.
Pas besoin, ici, de lecture au n-ième degré, chacun des personnages est franc, lisible, sans arrière pensée, et si j’avoue avoir eu un peu de mal, au début, avec le sourire d’Alice, je l’ai compris petit à petit, intuitant une clé qu’elle donnera elle même sur la raison pour laquelle elle va beaucoup mieux.
Si Le voyage d’Alice en Suisse est un spectacle dur, ce n’est pas un spectacle violent, au contraire, c’est un spectacle étrangement doux, qui s’affranchit des barrières de la morale et des genres, qui plonge le spectateur dans les entrelacs de l’âme humaine.
En 2021, Le voyage d’Alice en Suisse a reçu le Prix du Jury du Festival Court mais pas vite. Un beau prix.
Aux Déchargeurs jusqu’au 18/06/22
Du mercredi au samedi : 21h15
Texte : Lukas Bärfuss traduction Hélène Mauler, René Zahnd
Avec : Jules Bisson, Lucie Epicureo, Martin Mesnier, Edouard Sulpice
Mise en scène : Mélodrame Production
Visuel : Cédric Bolusset