
Les Chaises au Poche Montparnasse : pour le texte d’Eugène Ionesco, bien sûr, pour le plaisir de voir les immenses Catherine Salviat, solaire, et Jean-Paul Farré, lunaire, jouer, comme joueraient deux enfants, dans une mise en scène jouissive et jubilatoire de Stéphanie Tesson
A gauche, Jean-Paul Farré est debout, sur une chaise. A droite, Catherine Salviat est assise. Allons, mon chou, ferme la fenêtre, ça sent mauvais l’eau qui croupit et puis il entre des moustiques. Laisse-moi tranquille !
Il est Le Vieux, elle est La Vieille. Dans leurs costumes qui évoquent les pays en …stan au sud de la Russie, avec leurs faces dorée, ils attendent depuis 75 ans, sur une île. Il est Maréchal (des Logis) et concierge, elle l’aime, l’admire, le verrait bien Chef. Il détient un secret, qui peut sauver l’humanité, il a convoqué les propriétaires et les savants pour le divulguer, par l’intermédiaire d’un Orateur. Voilà les invités qui arrivent, au compte goutte d’abord, puis par grappes, il faut les accueillir, les asseoir. Le Vieux et la Vieille vont chercher des chaises, encore des chaises, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de chaises disponibles, les invités restent debout. L’Empereur arrive, pour lui il y a un fauteuil. Voilà enfin l’Orateur. Le Vieux et la Vieille se jettent dans la mer, mission accomplie. Quand l’Orateur monte sur scène, il ne produit que des sons gutturaux.
Quand on parle des Chaises, c’est pour s’interroger. Sur le message. Qui est l’Empereur, qui sont ces gens qu’on ne voit pas ? Est-il possible de porter un message ? Loin de certaines mise en scène de fin du monde qui n’en finissent pas, Stéphanie Taisson a choisi un parti pris ludique, elle laisse ses deux acteurs retrouver le plaisir du jeu, comme jouent les enfants, sans limites, sans tabou, il n’y a pas plus sérieux que leur jeu, ils s’amusent, ne se prennent pas au sérieux.
Catherine Salviat et Jean-Paul Farré jouent, ils jouent ensemble, on sent leur plaisir à le faire, qu’il a plus fallu les canaliser que les guider. On admire l’énergie qu’ils mettent à trimbaler ces chaises au milieu des spectateurs, les mêmes chaises rouges que celles sur lesquelles est assis le public. Ces deux grands acteurs sur une scène sont comme deux enfants qui créent un monde dans un bac à sable, qui s’amusent en embarquant le public avec eux. Catherine Salviat est magistrale, solaire, dans cette Vieille amoureuse bourrue et pleine d’énergie, je pourrais retourner voir la pièce pour ne suivre que son regard, pour n’écouter que la musique de sa voix. Face à elle, le Vieux de Jean-Paul Farré est un Pierrot lunaire et habité.
Le tout donne un moment jouissif et jubilatoire, à savourer jusqu’à la dernière seconde.
Au Théâtre de Poche-Montparnasse à partir du 10 février 2022
Du mardi au samedi : 21h00 – dimanche : 15h00
Texte : Eugène Ionesco
Avec : Catherine Salviat, Jean-Paul Farré
Mise en scène : Stéphanie Tesson
Visuel : Juliette Renard