
Cendres sur les mains au Studio Hébertot : un sujet fort, un univers où la poésie s’oppose à la balourdise, une pièce toute de contrastes, pour les amateurs de beaux textes et de jeu d’acteur fin et nuancé.
Sur la scène, des sacs en toile de jute, emplis, empilés. Un escabeau de bois, deux pelles, leur lame est rouge. Un lampadaire sur un socle de bois. Le bruit du vent. Une femme entre, une bougie à la main, elle chante, une sorte de mélopée. « Elle avançait. Au début, je n’y faisais pas attention. » On comprend qu’Elle, c’est la guerre. Puis deux hommes, qui traînent un sac sur lequel repose un corps de femme. « Attends. Tu veux qu’on pose ? ».
Les deux hommes sont des fossoyeurs, ils brûlent les cadavres des ennemis, avec la conscience professionnelle des exécutants compétents, ceux dont on n’écoute jamais les idées qui leur faciliteraient la vie avec pour effet secondaire une augmentation de la productivité. Les deux hommes se lavent, se grattent, leur peau les démange. Un jour, ils voient arriver la femme. Que faire de ce séduisant cadavre pas encore mort ? Ils vont l’habiller, la nourrir, s’habituer à sa présence. Passivement, par non choix successifs.
Sans leur parler, la femme va s’occuper de chaque cadavre, le caresser, lui parler, lui apporter un moment d’humanité dans la mort, emmagasiner les noms, les souvenirs.
J’ai savouré le texte de Laurent Gaudé, tout de finesse, tout de contrastes. Il y a presque deux textes, d’ailleurs.
D’un côté, les fossoyeurs dialoguent, enfermés dans les bornes de leur esprit, dans la passivité de ces personnes sur qui, au fond, les organisations comptent, qui font le job consciencieusement, en râlant, sans se rebeller, vers une fin inéluctable. Un dialogue absurde, autocentré, on pourrait être dans Kafka, on n’est pas loin de Beckett, n’était le sujet, on rirait de bon cœur de leurs réflexions, là, les souvenirs de l’histoire encore contemporaine m’a emmené vers une réflexion-réaction aussi intellectuelle que tripale.
De l’autre, la femme, un monologue, poétique, touchant, émouvant. Petit à petit, elle prenait mon cœur, le serrait dans ses poings, jusqu’à la scène finale où elle s’efface devant sa mission.
Dans une mise en scène d’Alexandre Tchobanoff qui joue de l’ombre et de la lumière pour pousser les contrastes, Prisca Lona est une femme aussi forte que fragile, aussi perdue que décidée. Face à elle, à côté d’elle plutôt puisqu’ils ne se regardent jamais vraiment, le duo entre Olivier Hamel et Arnaud Carbonnier fonctionne comme un couple de clowns, le Clown Blanc et l’Auguste.
Cendres sur les mains est une pièce forte, de ces pièces qui continuent dans l’esprit du spectateur longtemps après qu’il soit sorti de la salle, plus dans une nécessité d’absorption que dans un besoin de réflexion, de ces pièces dont on sort en ayant envie d’en parler avec ceux qui l’ont vue, on a quelque chose d’unique à partager avec eux.
Si vous aimez les textes qui donnent à réfléchir, si vous êtes sensible au jeu d’acteur en nuances et finesse, bref si vous aimez le théâtre, mettez Cendres sur les mains à votre agenda, la pièce le mérite.
Au Studio Hébertot jusqu’au 28 novembre 2021
Lundi 21h00 – Mardi 19h00 – Dimanche 17h00
Texte : Laurent Gaudé
Avec : Arnaud Carbonnier, Olivier Hamel, Prisca Lona
Mise en scène : Alexandre Tchobanoff