Noire reprend au théâtre du Rond Point, l’occasion de vivre l’histoire de Claudette Colvin, une jeune fille courageuse qui n’aura pas été Rosa Parks mais qui lui aura sacrément ouvert la voie. Une voix à entendre.
La scène est noire. Pas une scène vide dont on devine le sol et le fond dans la pénombre, non, on ne voit rien, on ne devine rien, la scène est noire, un noir oppressant, qui avale. Dans ce noir, la voix de Tania de Montaigne s’envole, elle nous prend par la main, nous emmène en Alabama en 1955, le sud ségrégationniste des Etats Unis où s’appliquent les lois Jim Crow, où les blancs s’asseyent devant quand les noirs s’assoient derrière, où les noirs doivent se lever quand un blanc n’a pas de place.
Tania de Montaigne nous raconte l’histoire de Claudette Colvin.
Le 2 mars 1955. Claudette Colvin a quinze ans, elle rentre du lycée, en bus. Le bus se remplit, une femme blanche n’a pas de place assise, elle regarde fixement Claudette Colvin, qui ne se lève pas. Une réprobation gênée s’installe à l’avant comme à l’arrière. Le chauffeur intervient, puis la police. Claudette Colvin est arrêtée, elle sera jugée. On voit apparaitre Martin Luther King, qui n’a pas encore beaucoup d’influence, il manque six mois. Rosa Parks qui dans neuf mois fera le même geste, sera soutenue, deviendra un symbole.
D’une voix lente, Tania de Montaigne raconte. D’abord auditeurs, elle fait de nous des témoins, nous fait ressentir ce que ressentait ceux qui participaient à ce moment d’histoire.
Une histoire qui n’est pas manichéenne, il n’y a pas que des blancs racistes et des noirs méprisés, il y a aussi des braves gens honnêtes, et des politiciens manipulateurs.
Tania de Montaigne remet l’histoire en perspective, tout était prêt pour faire de Claudette Colvin une icone, et pourtant elle ne sera pas Rosa Parks. Parce qu’elle est trop jeune ? Parce que sa peau est trop sombre, plus claire elle était ce dont les uns voulaient s’approcher et que les autres pouvaient accepter ? Parce qu’elle tombe enceinte d’un homme marié alors qu’elle n’a que quinze ans ? Parce qu’elle n’est pas déjà identifiée comme une activiste engagée ? Elle n’est pas l’icone idéale, alors on attend.
Je me suis laissé embarquer par l’histoire de Claudette Colvin, par le courage de cette jeune fille qu’on laisse tomber et qui pourtant répondra présent quand à nouveau on aura besoin d’elle, par sa force de caractère. Je suis sorti très touché, très admiratif. En me demandant ce qu’elle était devenue. Elle est restée modeste et forte. Elle est partie à New York, a exercé comme infirmière de nuit pendant 30 ans, a élevé son fils. Elle a continué à s’occuper des autres.
Je suis beaucoup moins fan de la mise en scène qui fait une trop large place à la vidéo, c’est la magie du théâtre de me raconter le personnage de Jim Crow ou le physique de Claudette Colbert, de laisser mon imagination faire le reste, l’extrait de film est inutile, bridant. Alors j’ai fermé les yeux. Le texte a marché, la voix m’a embarqué, je me suis senti en 1955 dans les pas de Claudette Colvin.
Allez voir Noire. Laissez-vous embarquer sur les pas de Claudette Colvin. Entendez sa voix. Regardez son visage. Et méditez, parce que la ségrégation est peut-être plus insidieuse, mais elle est toujours là.
Au théâtre du Rond Point du 15 au 26 septembre 2020
Du mardi au samedi: 20h00
D’après « Noire – La Vie méconnue de Claudette Colvin » de : Tania de Montaigne
Adaptation et mise en scène : Stéphane Foenkinos
Avec : Tania de Montaigne