Yvonne – Théâtre Darius Milhaud – quand l’extravagance permet d’aller à l’os, un coup de coeur pour l’adaptation par Bruler Détruire de la pièce de Witold Gombrowicz

Yvonne au Darius Milhaud : Bruler Détruire va à l’os de la pièce de Witold Gombrowicz. Un très beau travail de troupe, une extravagance maîtrisée, un ressenti physiologique, animal, qui laisse toute sa place à la réflexion ultérieure du spectateur.

Le rideau est fermé. Dans la salle, un homme en frac fait résonner ses claquettes. Il porte quelques partitions. Le rideau s’ouvre. Sur le côté de la scène, sous un voile de plastique, un piano. Assise au fond, dans un coin, une jeune femme silencieuse, déformée. L’homme s’assied, pose trois accords. On entend Love Me. Quel admirable coucher de soleil...

Yvonne, princesse de Bourgogne est la pièce la plus jouée de Witold Gombrowicz. Une sorte d’anti conte de fées. Un roi, Ignace. Une reine, Marguerite. Un prince, Philippe, qui s’ennuie. Pour tromper son ennui, par défi, Philippe se fiance à Yvonne, jeune fille muette, mal formée. C’est l’incompréhension, l’accablement. Toutes les tentatives de communiquer échouent, et un passé peu glorieux remonte au jour. Chacun veut tuer Yvonne, imagine le moyen de le faire discrètement. Elle est finalement mise à mort en grandes pompes, à l’occasion d’un banquet en son honneur.

Brûler Détruire, une jeune compagnie, adapte Yvonne, c’est leur premier projet, leur projet fondateur. Ils sont contraints par des moyens limités, ne peuvent emplir la scène d’un décor somptueux. Alors ils vont à l’os, et pour aller à l’os, ils vont dans l’extravagance. Je ne suis généralement pas fan des mises en scènes agitées, exubérantes. Je tire d’autant plus mon chapeau au travail de Chloé Bourhis et Clément Le Roux, leur extravagance est maîtrisée, la pièce est tripale, physique. Physiologique et animale.

Physiologique, comme une écharde. On a tous, un jour, eu une écharde quelque part. Ça part tout seul, une écharde, on n’y fait pas vraiment attention. Parfois, elle reste, ça s’infecte. On se souvient de ce qu’il a fallu faire, la fois précédente, ça a fait mal. Et puis on appuie, ça gicle. Après, ça va mieux. Yvonne est une écharde au royaume d’Ignace et Marguerite.

Animale, comme l’humain le redevient quand il perd le contrôle de sa couche de civilisation. C’est la fête nationale, Philippe est avec ses amis, ils reluquent les filles, se moquent de celle qui n’a pas été gâtée par la nature. Défi, provocation, jeu. Ils jouent comme des louveteaux. Leur jeu est contagieux, il se propage, tout le monde y entre, il n’y a plus de limites. Ils mordent comme des loups, quand la normalité, les conventions, doivent redevenir la règle. Chez l’humain, c’est le carnaval. Avec l’excuse du masque, des substances euphorisantes. On se lâche, on va trop loin, à la fin, dans une gerbe destructive, on expulse le bouc émissaire. Yvonne.

Yvonne est un spectacle de troupe. Sur scène, Mélissandre Archimbaud qui donne une Yvonne magnifique, toujours prégnante, qu’elle soit au centre de l’action ou pas. Et Quentin Carpentier, Johann Poels, Léa Levy, Matthieu Gabanelle, Clément Le Roux. Ils sont bons, engagés, leur jeu est maîtrisé au cordeau. Ils savent s’engager dans l’extravagance quand il le faut, basculer dans une tension immédiate à chaque scène dont Yvonne est le centre silencieux. Le spectateur est emporté dans cette alternance. A certains moments, il n’a pas d’autre choix que de rire, sauf à sombrer dans l’horreur, à d’autres c’est son rire qui serait horrible.

Je me suis laissé bousculer par cette vision d’Yvonne. Un peu déstabilisé au démarrage, un peu inquiet que ça ne tombe dans le n’importe quoi grotesque. Embarqué ensuite par le parti pris, convaincu par le ressenti qui s’est installé, physiologique autant qu’animal, la réflexion vient ensuite, une fois sorti de la salle. Séduit par le travail de Brûler Détruire. Un très beau travail.

Toute la troupe sort du Cours Florent, Yvonne est aussi leur travail de fin d’études. Chaque année, les Jacques récompensent, parmi ces travaux, ceux qui se distinguent par leur originalité, la qualité de leur mise en scène, le jeu des acteurs et leur professionnalisme. Nominé sept fois, Yvonne a été récompensé dans quatre catégories :
– Meilleure création Lumière : Thomas Ozeray
– Meilleur second rôle masculin : Johann Poels (le Roi Ignace)
– Meilleur second rôle féminin : Léa Lévy (la Reine Marguerite)
– Meilleur spectacle : Clément Le Roux, Chloé Bourhis, Matthieu Gabanelle, Mélissandre Archimbaud, Quentin Carpentier, Thomas Ozeray, Johann Poels, Léa Levy.

Le théâtre Darius Milhaud est une petite salle excentrée, il faut faire l’effort d’y aller. Parfois, dans ces petits théâtres excentrés, on trouve des pépites, on assiste à de belles naissances. Yvonne en est une.

Au théâtre Darius Milhaud jusqu’au 04/05/2023
Les mardis 31 janvier, 14, 28 février & jeudis 16, 23, 30 mars, 13, 20, 27 avril et 4 mai 2023 à 21h00
Avignon 2023 : La Factory (salle Tomasi) du 07 au 29 juillet 2023 : 20h50; relâche le lundi
Durée :

Texte : Witold Gombrowicz – Traduction de Konstanty Jelenski & Geneviève Serreau
Avec : Mélissandre Archimbaud, Quentin Carpentier, Johann Poels, Léa Levy, Matthieu Gabanelle, Clément Le Roux
Mise en scène : Chloé Bourhis et Clément Le Roux
Compagnie : Brûler Détruire

Edit le 04/04/23 : ajout des récompenses Jacques.

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