Un moment de grâce, un bijou éclatant, la rencontre entre André Breton et Nadja, entre un animal sensuel et un séducteur réservé
Un homme, une femme, assis autour d’une table, ils chuchotent pendant que les spectateurs entrent, deux exemplaires du texte de la pièce sous les yeux, un crayon à la main.
Qui suis-je ? Je n’ai jamais vu de tels yeux. Elle s’appelle Nadja, en russe, Nadja est le commencement de l’espérance, mais ça n’en est que le commencement.
Sous nos yeux, André Breton et Nadja vont se chercher, se trouver, se séduire. Elle est un animal sensuel, un animal un peu perdu. Il est marié, il cherche, séduit. Elle est l’âme errante.
J’ai vécu un moment de grâce pendant cette représentation improbable.
Il y a le sujet, le texte, de ces sujets par lesquels il faut être habité pour abattre le travail que représente le tri dans le livre d’André Breton, dans les lettres de Nadja, la sélection, l’assemblage, le montage des parcelles de texte, pour arriver à un ensemble cohérent, qui se tient, qui tient le spectateur.
Il y a le jeu des acteurs. De la dentelle au petit point, un travail qui laisse bouche bée. André, factuel, analytique, il raconte. Nadja, sensuelle, charnelle. Pas de dialogues, peu d’échanges verbaux, de longues séquences. L’un parle, l’autre reçoit. La musique des mots suffirait presque à porter leur intention, le tempo des phrases emporte le message. Et puis il y a le jeu des corps. Le corps d’André, un peu raide. Le corps de Nadja, ses yeux. Une chatte, non, une panthère. Une panthère à l’air altier, fière malgré sa peau un peu pelée.
L’avantage d’une petite salle, c’est que les acteurs jouent à un mètre des spectateurs, qui sont au cœur de l’action, leurs yeux entre ceux d’André et de Nadja, le spectateur maitrise le plan d’un mouvement de tête. Le jeu de Florence Perrier et François Rabette m’a renvoyé à cette séquence du Grand Sommeil, le film d’Howard Hawks, avec Lauren Bacall et Humphrey Bogart, quand ils se voient pour la première fois. Il y a la même intensité, la même animalité.
A nouveau, quand l’un parle, l’autre reçoit, continue à jouer. Je pourrais revoir la pièce trois fois. Une fois pour garder les yeux fixés sur Nadja, sur ses yeux. Une fois pour l’écouter, les yeux fermés. Une fois juste pour le plaisir.
Et la mise en scène ? la pièce porte un titre interminable, on entre dans une salle inconfortable, on nous fait croire que les acteurs ne savent pas le texte… et comme André Breton, on se fait surprendre par les yeux de Nadja. Un bijou, je vous dis.
Parfois je me demande pourquoi je reste dans le jury des P’tits Molières. Et de temps en temps je tombe sur un bijou comme hier soir, et je sais.
Un grand bravo à Florence Perrier, pour avoir mené à bien ce projet.
Vous avez envie de vous laisser surprendre, emporter ?
Au théâtre La Croisée des Chemins jusquau 7 mars 2019
Mercredi et jeudi – 19h45
Texte : Florence Perrier d’après « Nadja » d’André Breton & les lettres de Nadja
Avec : Florence Perrier, François Rabette
Mise en scène : Déborah Coustols-Chatelard
Une pièce éligible aux P’tits Molières 2019