Prix NO’Bell d’Elisabeth Bouchaud : la volonté farouche de Jocelyn Bell, sa douceur, sa joie intérieure

Prix NO’Bell à La Reine Blanche : la vie et la philosophie de Jocelyn Bell, qui identifie le signal émis par un Pulsar, une découverte qu’Antony Hewish s’attribuera et qui lui vaudra le prix Nobel. Un texte d’Elisabeth Bouchaud, une mise en scène chorégraphique et douce de Marie Steen, où Clémentine Lebocey incarne Jocelyn Bell avec talent et irradiation.

D’un côté de la scène, un homme dort, les pieds sur une table, à côté d’un poste de radio. De l’autre côté, une ombre sur une toile, une femme qui travaille, des fils électriques. Posés par terre, de longues barres, des supports. Day after day… les premières mesures de The Fool on The Hill. 1967. L’homme s’anime, met ses gants, commence à assembler une structure. Une jeune femme arrive du fond de la salle. Excusez-moi… Pardon… Savez-vous où est Jocelyn Bell ?

Jocelyn Bell travaille, à cet instant elle soude les composants d’un radiotélescope, une antenne géante de la taille de cinquante terrains de tennis.Et elle n’a pas le temps de suivre Janet, sa colocataire étudiante en théologie, elle ne veut pas avoir de regrets quand ils (la) renverront. Plus tard, Jocelyn Bell identifiera un signal bien particulier sur les bandes de papier du radiotélescope. En étudiant les Quasars, elle identifie la première trace d’un Pulsar. Un signal qu’Antony Hewish, son directeur de thèse, baptisera goguenardement The Little Green Men avant de s’en attribuer la découverte, majeure, qui lui vaudra le prix Nobel 1974. Et Jocelyn Bell ? Elle tombe amoureuse, se marie, a un enfant. Au gré des mutations de son fonctionnaire de mari, elle va d’université en université, travaille à temps partiel, il faut bien s’occuper de l’enfant. Des universités qui l’accueillent avec joie, ses travaux seront de nombreuses fois distingués, récompensés. Elle sera membre de nombreuses sociétés savantes et reconnues par de multiples doctorats Honoris Causa. Sans jamais exprimer la moindre amertume.

Le texte d’Elisabeth Bouchaud va bien au delà de l’histoire de Jocelyn Bell. Elle raconte une petite irlandaise presque complexée que la soumission patriarcale ancestrale fait douter d’être à sa place, qui s’émerveillera que son effacement soit le prix d’un greater good. Elle raconte les années 60, quand l’université formait, dans toutes les disciplines, des femmes que la société n’était pas prête à accueillir. Sois belle, intelligente, et tais-toi, une femme doit suivre son mari, une femme qui travaille c’est encore vulgaire. C’est vrai pour Jocelyn Bell, c’est vrai pour Janet, sa colocataire, étudiante en théologie sans pouvoir devenir pasteure et dont le personnage permet une belle réflexion sur le doute, le comment vs le pourquoi des choses, le hasard vs la volonté de Dieu. Dans un monde où l’homme se bat quand la femme pardonne, Jocelyn Bell aime les batailles, elle n’aime pas terrasser l’ennemi.

La mise en scène de Marie Steen souligne avec délicatesse les traits de caractère de Jocelyn Bell, sa volonté, sa douceur, sa joie intérieure. En s’appuyant sur la scénographie de Luca Antonucci, sur une composition sonore concrète de Anne Germanique et Stéphanie Gibert, elle chorégraphie l’importance, la place centrale occupée par Jocelyn Bell partout où elle est passée, elle rend tangible sa générosité et sa vision farouche de la vie, quoi qu’il lui advienne.

Clémentine Lebocey incarne Jocelyn Bell avec talent et irradiation, un mélange de puissance et de douceur qui lui permet de transmettre la volonté forcenée de Jocelyn Bell autant que sa philosophie si positive de vie. Elle est entourée de Benoît Di Marco, excellent voleur de Prix Nobel patelin, et de Roxane Driay, qui, au delà des rôles d’Antony Hewish et de Janet, donnent une palette de personnages secondaires.

Prix NO’Bell est la deuxième pièce de la série Les Fabuleuses consacrée par Elisabeth Bouchaud, elle même chercheuse au CNRS, aux femmes de science que l’histoire a occultées, que les hommes de l’histoire ont volontairement occultées. Vous y découvrirez la vie de Jocelyn Bell, qui est toujours de ce monde. Vous vous souviendrez ce qu’était la place des femmes dans les années 1960. Vous réaliserez que soixante ans se sont écoulées, que l’équilibre est loin d’être atteint, que même dans les pays les plus « avancés », on attend des femmes une soumission et une solidité qui permette aux hommes de briller.

J’ai savouré Prix NO’Bell. Pour le texte d’Elisabeth Bouchaud qui mêle histoire et édification. Pour la chorégraphie mise en scène de Marie Steen. Pour la performance de Clémentine Lebocey dans le rôle titre.

A La Reine Blanche jusqu’au 25/04/24 dans le cadre de la série Les Fabuleuses
Mardi, mercredi, jeudi : 19h00 + scolaires
Durée : 1h15

Avignon Off 2024 : Reine Blanche Avignon, 16h20

Texte : Elisabeth Bouchaud
Avec : Clémentine Lebocey, Roxane Driay, Benoit Di Marco
Mise en scène : Marie Steen
Production : Reine Blanche Productions en coproduction avec le CEA Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives

Visuel : Pascal Gély

Cette chronique a été publiée pour la première fois sur www.jenaiquunevie.com

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