Je n'ai qu'une vie – Des émotions à partager

Sur la scène, un praticable, deux chaises noires. On aperçoit des tiroirs sous les assises, dans les cintres, une boule à facettes, une boule de tulle, une boule de tissus pailleté. Dans le noir, des pas. Une vieille femme en chemise de jour, des lunettes, des ballerines, un chignon. Une seconde, cardigan, robe à pois, elle les enlève, les range sous sa chaise. On n’aura personne. On n’aura personne ?

On est dans un futur. Peut-être très proche, peut-être post-apocalyptique. Deux vieilles dialoguent. Deux vraies vieilles, avec le caractère teigneux qui conserve, et tous les signes de l’âge. Dans le ciel, des drones surveillent. Quelque part, une brigade sanitaire rode. Elles sont seules, elles se battent. Pour un coin d’espace. Elles comparent leurs anciennes vies, l’Alzheimer de l’une et le Parkinson de l’autre. Elles attendent. Elles finiront par partir, ensemble.

On ne sait pas bien où on est. Un musée, peut-être. On ne sait pas bien ce qu’elles attendent. Qu’on les regarde, qu’on les emmène, ou la fin. Alors on les regarde combattre, et on savoure.

La Nostalgie des Blattes a été créée au Rond Point. La pièce a été écrite par Pierre Notte dont j’adore l’écriture sautillante, caustique et irrévérencieuse, sur une idée de Catherine Hiegel. Deux vieilles, deux vieilles peaux, résistantes, naturelles, s’exposent et dialoguent. Il y a de la magie dans ce texte. En 2017, j’avais été sensible à son côté post-apocalyptique, le petit musée du temps d’avant dont petit à petit on se désintéresse. Eulalie Delpierre et Marylin Pape m’ont emmené sur un autre chemin, celui de la force de vie. Elles sont dans un monde aseptisé ? Elles vivent sur un mètre carré, comme un cubicle d’open space ou un container empilé dans un film de science fiction ? Leur univers est limité ? Elles s’en foutent. Dans cet univers, elles vivent, peut-être une dernière fois, elles vivent. Vivre, c’est se battre, se comparer. Critiquer, se moquer. Se souvenir, profiter. Leur force, c’est de ne pas porter d’opinion sur le monde dans lequel elles sont. La brigade sanitaire, les drones tueurs ? Pas leur problème. Petit à petit, elles abandonnent l’idée de survivre, et vivent. Une dernière fois.

Bien sûr j’ai ri, comment ne pas rire. J’ai ri, et je suis sorti ému. Il faut des auteurs comme Pierre Notte, il faut des comédiennes comme Eulalie Delpierre et Marylin Pape pour que Procuste ne gagne pas.

A La Manufacture des Abbesses jusqu’au 14/10/23
Du mercredi au samedi : 19h00
Durée : 1h10

Texte : Pierre Notte
Avec : Marylin Pape
Mise en scène : Eulalie Delpierre, Marylin Pape

Visuel : DR

Cette chronique a été publiée pour la première fois sur www.jenaiquunevie.com