Riveraines de Mi fugue mi raison : la maternité en grande précarité, un beau spectacle, un coup de poing

Allez voir Riveraines à La Reine Blanche : un spectacle coup de poing qui vous dira le monde des femmes qui vivent dans leur maternité dans la rue, de ceux qui les aident dans un univers kafkaïen. Une réalité factuelle qui vous convaincra sans pathos.

Sur la scène, une lampe sur pied, un tableau blanc, quelques chaises en rond, en bois et en formica. Sur la lampe, une bouilloire, un escabeau, sur ses marches, quatre pommes de terre. Allo, oui, j’écoute ? Du fond de la salle… Allo, oui, bonjour, il y a une dame enceinte couchée dans la rue…

Le dialogue est surréaliste. La dame enceinte est-elle sans abri ? dans ce cas, il aurait fallu appeler le 115, pas le 15. La personne qui a appelé ne peut attendre l’ambulance parce que sa propre fille l’attend ? c’est fâcheux. Oui, on est bien en France, en 2024, le pays où on s’occupe de chaque chien écrasé, où on arrête la circulation des trains et des métros parce qu’un chat a échappé à la surveillance de son maître.

Plus tard, la réunion Staff de Solipam. Solidarité Paris Maternité. Elle se tient deux fois par semaine, il faut trouver cinq à vingt solutions pour autant de femmes enceintes ou avec des nouveaux nés qui sont dans la rue. La présence des patates et de la bouilloire prend tout son sens. Plus tard, un vitrier est fier de faire passer en priorité la réfection des fenêtres d’un hôtel qui n’est pas aux normes, les JO arrivent, l’hôtellerie, c’est l’image de la France. Le sort des femmes qui y étaient hébergées… Plus tard, la course pour trouver un point de chute auprès du SIAO quand l’heure couperet approche.

Mi-fugue Mi-raison est une association qui œuvre pour l’égalité, la lutte contre les violences faites aux femmes et enfants par l’art et l’action artistique. Riveraines est le produit d’un travail de deux ans au cœur de Solipam, une conception collective de Delphine Biard, Flore Grimaud et Caroline Sahuquet qui ont suivi le travail des assistantes sociales (un métier à 90 % féminin), et rencontré quelques unes des femmes que Solipam a accompagnées.

Riveraines est un spectacle d’une force incroyable. La force des femmes accompagnées, force de vie, force de survie. La force des femmes et des hommes qui les aident, avec pour seuls outils un téléphone et un réseau, au point de frôler le burn out sous la pression. La force de résistance du système.

Accompagnées sur scène d’une représentante de Solipam, Cécile Martin (en alternance avec Delphine Biard), Flore Grimaud et Caroline Sahuquet offrent au spectateur une plongée dans un monde qui existe à ses pied et qu’il ne voit pas. Elles rendent visibles ces femmes invisibles sans les incarner, sans les interpréter. Elles lui racontent des trajectoires, des destins, qui vous donneront la nausée quand vous entendrez les brulures sur un corps en Libye ou les pipes à cinq euros pour survivre un jour de plus. Elles lui offrent le temps d’une méditation pour faire redescendre la tension. Elles lui racontent un univers kafkaïen, le monde des sigles et des procédures dans lequel aidées autant qu’aidantes se battent pour se frayer un chemin. Riveraines se conclut sur des photos de Pauline Gauer, le spectateur déambule, il n’est plus seulement observateur.

Riveraines est un coup de poing. Un ovni théâtral. Ici, pas de théorie, pas de verbalisation culpabilisante du public, pas de victimisation masquée. Un spectacle de troupe, qui, sans jamais tomber dans le pathos, vous dira la réalité factuelle du monde où des femmes vivent leur maternité dans la rue. Une forme de théâtre documentaire engagé qui pose sans juger, à vous de prendre conscience.

Je suis sorti de Riveraines séduit et marqué. Séduit par la grande qualité du travail théâtral (mais pas que) de Cécile Martin, Flore Grimaud et Caroline Sahuquet. Marqué par leur triple message. La force de vie de ces femmes qui vivent vraiment leur maternité dans un univers où presque rien c’est déjà beaucoup. La ténacité des équipes qui les aident. La résistance du système labyrinthique et kafkaïen dans lequel elles évoluent.

Et en sortant, on fait quoi ? D’abord, on enregistre un mot. Solipam. Pour le jour où nos pas croiseront ceux d’une femme vivant dans la rue, enceinte ou avec son nouveau né, pour lui dire « là, madame, on va vous écouter et vous aider ». Et on dit aux gens qu’on connait « allez voir Riveraines« , c’est un bon spectacle qui va vous faire découvrir un monde que vous ne connaissez pas, un monde violent, où existe un espace de force et d’espoir. Dans cet espace, des femmes luttent, se battent, sortent victorieuses.

Et donc… Allez voir Riveraines.

A la Reine Blanche jusqu’au 15/06/24
Mardi, jeudi : 21h00; samedi : 20h00
Durée : 1h15

Texte : Delphine Biard, Mia Delmaë, Flore Grimaud, Caroline Sahuquet
Avec : Delphine Biard / Cécile Martin, Flore Grimaud, Caroline Sahuquet
Mise en scène : Delphine Biard, Flore Grimaud, Caroline Sahuquet
Compagnie : Mi fugue mi raison

Visuel : Pauline Gauer

Cette chronique a été publiée pour la première fois sur www.jenaiquunevie.com

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