Je n'ai qu'une vie – Des émotions à partager

Sur la scène, à gauche, un bureau blanc. Un ordinateur blanc, un verre blanc, un téléphone noir. Au fond, une batterie. Tout est dans ta boite crânienne. La boite est pleine d’eau…

Imen travaille dans la finance, à Londres. Une femme sans pitié, un comportement viril dans un corps sexy. Elle sait encaisser les coups, son monstre la rend insensible. Et l’eau dans sa tête, ce sont les larmes qui n’ont pas coulé.

Imen a grandi dans un univers où les hommes sont propriétaires du corps des femmes. Un univers où, quand son père, kabyle, rentre à la maison, la télé s’éteint, la tension s’installe, sur qui les coups vont-ils tomber. Souvent, sur la mère. Imen s’occupe de tout. Son frère, sa soeur, le bébé, la cuisine, les courses, sans argent et quinze étages à pied. Pas toujours, sur la mère. Au collège, Imen dissimule les marques, et pour ce qui est des devoirs…

Le texte d’Iman Kerroua porte la parole d’Imen, sa parole. Elle dit la Cité des Alouettes, les ascenseurs en panne. Elle dit le père violent, si bon danseur, qui reproduit un modèle, qui lui conseille de travailler, d’avoir une bonne situation, si ton mari t’embête, tu le dégages. Elle dit comment elle s’est construit une carapace, une carapace qui a fait d’elle cette tradeuse sociopathe pour qui la chance, c’est pour les loosers.

Iman Kerroua interprète son texte en en portant les émotions à fleur de peau. Un jeu très physique, qui s’appuie sur les gestes autant que sur les mots. Mise en scène par Laetitia Gonzalbes, qui a réussi à canaliser l’énergie et les émotions d’Iman Kerroua, à chorégraphier son message. Avec la bonne idée de l’accompagner de Dogan Poyraz, qui joue la musique au plateau, qui apporte le contraste entre la force de sa batterie et la douceur attentive de son regard.

London Bridge est un spectacle oignon qui se reçoit en couches successives. La tradeuse londonienne, protégée par sa carapace. La collégienne, qui porte le quotidien de sa famille, qui se construit dans la violence. Jusqu’à ce qu’Imen retrouve, accueille, la petite fille qui existe au cœur de tout ça. Un spectacle oignon.

J’ai reçu London Bridge avec beaucoup de respect et d’émotions. C’est bien sûr l’histoire d’une jeune fille qui encaisse et s’en sort, la résilience des enfants dans la violence et le glauque. C’est surtout l’histoire d’une jeune femme qui arrive à retrouver la petite fille qui est restée en son cœur, ses envolées enthousiastes, là j’ai été saisi par la poésie et l’espoir. C’est là que le spectacle est beau. Ce n’est pas la petite fille apeurée qu’elle retrouve, c’est la petite fille joyeuse.

London Bridge, c’est la sensibilité à fleur de peau d’Iman Kerroua qui se livre. Le spectacle mérite votre venue, Iman Kerroua mérite qu’à la fin vous la saluiez d’applaudissements qui lui diront : j’ai aimé ton spectacle, je t’ai écoutée, et je t’ai entendue. Un hug à distance.

PS : si vous êtes concernés par des faits de violence sexiste ou conjugale, le numéro d’appel de Violence Femme Info est 3919. Il y a aussi une plateforme de signalement en ligne.

Au théâtre de Belleville jusqu’au 31/05/24
Jeudi, vendredi : 19h00; samedi : 18h00 ou 19h00; dimanche : 15h00
Durée : 1h20

Texte : Iman Kerroua
Avec : Iman Kerroua
Mise en scène : Laetitia Gonzalbes
Musique live : Dogan Poyraz
Compagnie : Kabuki

Visuel : Geoffrey Serguier

Cette chronique a été publiée pour la première fois sur www.jenaiquunevie.com

Pour suivre au mieux toutes nos actualités, vous pouvez nous suivre sur TikTok, Youtube, Instagram, X, Threads, la chaine WhatsApp