L’Os à Moelle – Artistic Théâtre : pour les mots fins de Pierre Dac, parce que les mots et le rire contribuent à vaincre l’inacceptable – succès/reprise

L’Os à Moelle à l’Artistic Théâtre : Anne-Marie Lazarini donne une nouvelle dimension aux textes de Pierre Dac, servis par Cédric Colas, Emmanuelle Galabru et Michel Ouimet. Un spectacle convaincant, qui réapprend au spectateur que le rire conscient du fond des choses est aussi une arme pour dénoncer l’inacceptable.

Sur la scène, très agrandis, quelques numéros de l’Os à Moelle, l’organe officiel des loufoques. Trois petits bureaux également. On aperçoit trois pommes, un seau en métal brillant, un poste de radio…. 1938, Edouard Daladier remplace Léon Blum à la Présidence du Conseil…

Le 13 mai 1938 parait le premier numéro de l’Os à Moelle. Quatre pages, une police sérieuse, une écriture classique. A l’intérieur, du non sense le plus pur. Avec le soutien amical de Jacques Pessis, Anne-Marie Lazarini fait revivre les trois années du journal dont le non sense n’excluait pas la finesse politique. Le dernier numéro parait le 7 juin 1940, deux pages seulement. La semaine suivante, les Allemands entreront dans Paris.

1938, 1939, 1940. Trois années de l’Os à Moelle. Sous la houlette d’Emmanuelle Galabru, Cédric Colas et Michel Ouimet vont parcourir ce qui en faisait l’essence, les recettes de tante Abri, les pensées, les petites annonces. Les éditoriaux de Pierre Dac, fins et politiques. Les relances, un certain Adolf Hitler n’a pas payé son abonnement. L’Os à Moelle est anti-hitlérien, très anti-hitlérien. Le spectacle ouvre sur le Scandale du Rien Ne Va Plus, se termine en rappelant la Résistance de Pierre Dac, le Chant des Partisans, sa réponse prémonitoire à Philippe Henriot qui l’accusait de ne pas être français.

Pierre Dac, c’est une de mes madeleines. Bons baisers de partout, sur France Inter l’après midi. Les pensées, en livre de poche. L’Os à Moelle troisième époque, dans les années 70. Phèdre (à repasser), adapté par Jean-Baptiste Plait, avec sur scène Didier Bourdon, Pascal Légitimus et Bernard Campan. Bien sûr le Sâr Rabindranath Duval avec son éternel complice Francis Blanche. Je suis entré dans la salle prêt à me laisser embarquer. Conscient de la difficulté, le matériau de base est un journal, pas facile à adapter au théâtre, ça peut facilement tourner à l’ennui.

La mise en scène d’Anne-Marie Lazarini survole l’obstacle. Chaque séquence est un petit numéro organisé autour d’un thème, le public participe avec entrain quand vient son tour. Un peu l’esprit du cirque, Emmanuelle Galabru en Madame Loyal collaborative, Michel Ouimet, dont le physique rappelle un peu celui de Pierre Dac, et Cédric Colas forment un trio convaincant qui fonctionne et qui emporte le spectateur dans un feu d’artifice de non sense.

A notre époque où il est à la mode de tourner la forme des choses en ridicule pour chercher le rire gras et facile, celui qui rend les populismes sympathiques donc acceptables, L’Os à Moelle vient redire que le rire est aussi politique, que le rire est aussi résistance, que le rire peut conduire à la prise de conscience du fonds des choses, mettre en évidence leur inacceptabilité. Ce même inacceptable que celui que dénonçait Pierre Dac, qui sourd sans se cacher, sous nos yeux, loin de nos frontières comme dans les couloirs de nos immeubles. Ce même inacceptable contre lequel il s’est battu avec ses meilleures armes, les mots.

Pierre Dac était aussi un homme de scène, de radio, ses textes acérés alimentent facilement la dimension théâtrale qu’Anne-Marie Lazarini a voulu leur donner. Le spectateur sort, son avis de recherche à la main, son esprit laissera décanter la dimension politique sous-jacente du spectacle auquel il vient d’assister.

Des textes fins, qui font rire et sourire, une mise en scène intelligente, des comédiens convaincants. Un rappel que le rire est une arme pour vaincre l’inacceptable. Deux vraies raisons d’aller voir l’Os à Moelle.

A l’Artistic Théâtre jusqu’au 31/03/24
Mercredi : 19h30 – jeudi : 20h45 – vendredi : 19h00 – samedi : 15h00 – dimanche : 17h30
Durée : 1h00

Texte : Pierre Dac
Avec : Cédric Colas, Emmanuelle Galabru, Michel Ouimet
Mise en scène : Anne-Marie Lazarini

Visuel : DR

Cette chronique a été publiée pour la première fois sur www.jenaiquunevie.com