Juillet 1961 – Théâtre Ouvert

Juillet 1961 au Théâtre Ouvert : si j’ai savouré le texte viscéral de Françoise Dô quand je l’ai relu, si je l’ai trouvé bien servi, je suis passé à côté de sa mise en scène qui me le rendait distant et froid.

Sur la scène, deux pianos droits, ouverts, symétriques, de chaque côté de la scène. Comme des bureaux, avec leur retours, et deux grands tambours… Une femme est assise à jardin, dans le noir. Deux notes sonnent, une sur chaque piano, en miroir, reviennent en échos. Du fond de la scène, une femme blonde, manteau transparent, brillant. Elle avance au centre de la scène. 208, c’est pas mon chiffre. C’est ce que j’ai pensé lorsque je suis arrivée devant la chambre de Paul.

On est en juillet 1961. Il y a Clarisse. Elle est noire, elle a une fille, Dani. Et deux boulots. Il y a Chloé. Elle est blanche, sa petite fille s’appelle Mary. Elles sont voisines, dans le quartier noir de la ville. Pour vivre, Chloé se prostitue, ce soir Paul, son client, est noir. Il est aussi policier, à la recherche du père de Chloé.

Le texte de Françoise Dô est une eau forte, on sent la puissance de son acidité. Un texte violent, tripal. Il raconte une ville comme toutes les autres dans les USA profonds, racistes, de 1961. L’histoire d’un petit blanc qui descend l’échelle sociale, qui croise un noir qui la monte, va à l’université. L’histoire de deux femmes qui sont voisines, qui se croisent. L’histoire d’un policier idéaliste qui veut finir une enquête enterrée. Il raconte la violence du Klan, les pendaisons, les feux « purificateurs ». L’arrivée de sa violence devant les deux maisons. Il raconte deux petites filles qui se foutent de la couleur de la peau de l’autre et qui jouent au jeu auquel on joue quand on est petites filles et qu’on a pas un rond : se promener en ville.

Il prend la forme de trois contes parallèles. Chloé. Clarisse. Le père de Chloé. Chacun parle à son tour, ils ne se parlent pas, ou peu. Le texte vient attraper le spectateur par les tripes, le mettre face à la situation, le laisser faire lui même le constat. Il lui raconte comment les choses étaient à ce moment là, à cet endroit là. Il le laisse se rappeler qu’il y a quelques jours un jeune adolescent de seize ans a sonné à la porte d’une maison. Juste sonné, pas franchir le seuil. Le bon numéro, pas la bonne rue. Il a pris deux balles, une dans la tête, l’autre dans le bras, et ce n’est que le troisième voisin chez qui il a sonné qui l’a aidé.

Un texte porté, et bien porté, par Rosalie Comby, Wanjiru Kamuyu et Christopher Mack. On peut chipoter le parti pris de laisser Christopher Mack hors de scène, de le faire parler en anglais surtitré, c’est un parti pris qui m’a convaincu. Il laisse la lumière sur Chloé et Clarisse, il détoure l’image des deux petites filles, dont elles parlent, qui ne parlent pas, que le spectateur imagine blotties l’une contre l’autre, la lueur d’espoir, ou l’illusion, à lui de choisir. Comme la Ronde de Nuit de Rembrandt, il y a ce qui se passe dans l’arrière plan, les deux chevaliers au premier plan, et une petite fille pleine d’enfance qui se faufile.

Et puis il y a la mise en scène, les deux musiciens. Leur talent n’est pas en cause, presque au contraire, ils sont hypnotisants, leur travail est fascinant, et la lumière qui les entoure est superbe. Et c’est le problème. Ce qui commence comme un habillage de bruits et de musique, souvenez-vous, les deux notes qui se répondent dans un écho qui s’assourdit, il n’y a aucun effet, ils jouent chaque son. Je les voyais, attentif à la façon dont ils procédaient, admiratif, m’interrogeant sur les tiges (de coton ?) insérées dans les cordes des pianos (pour assourdir le son ?). Jusqu’à la fin, ils partent dans un moment de jazz expérimental, là, ils m’ont perdu.

Pendant que je les regardais, je perdais le contact du texte, le texte devenait froid, distant. Pourtant c’est un beau texte, viscéral. Je l’ai relu dans la nuit. J’ai ressenti cette empathie qui m’a manqué durant la représentation, chacun des destins m’a empli et le texte m’a emporté, m’a saisi le cœur et les tripes.

Un avis partagé, donc. Le texte est beau, viscéral. Il est bien servi. La mise en scène et moi sommes passés à côté l’un de l’autre.

Au Théâtre Ouvert jusqu’au 22/04/23
Mardi, mercredi : 19h30; jeudi, vendredi : 20h30; samedi : 18h00
Durée : 1h10

Texte : Françoise Dô
Avec : Rosalie Comby, Wanjiru Kamuyu, Christopher Mack, Sylvain Darrifourcq, Roberto Negro
Mise en scène : Françoise Dô

Visuel :

Cette chronique a été publiée pour la première fois sur www.jenaiquunevie.com

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