Oh les beaux jours – Théâtre de Nesle

Oh les beaux jours au Théâtre de Nesle : Véronique Boulanger est une belle Winnie, dans ce quasi monologue de Beckett, elle offre au spectateur un miroir où il se retrouvera face à lui même et à son âge qui avance

Sur la scène, une grande toile de jute claire qui remonte, au centre, en petit mamelon. Winnie est enterrée jusqu’à la taille dans le mamelon, elle dort, la tête sur les bras. A sa gauche, un cabas noir, à sa droite, une ombrelle. Derrière elle, allongé par terre, endormi et caché, Willie. Une sonnerie, longue. Une seconde. Winnie se réveille, se redresse. Encore une journée divine.

Oh les beaux jours est une pièce de Samuel Beckett. Il y a Winnie, immobile, qui parle et déroule sa journée, identique aux précédentes, à faire les mêmes choses avec les mêmes objets. Il y a Willie. Il y a un Browning, seul élément qui évoluera. Winnie parle, à la cantonade. Un babillage hypnotique. Une mélopée, une lamentation. Elle parle de sa journée, de la difficulté qu’il y a à la tirer au bout. Elle parle à Willie, d’elle, de lui, de leur amour. Il lit le journal, grogne. Et puis viennent d’autres journées, Winnie est ensablée jusqu’au cou, Willie est endimanché, sa main se dirige vers le visage de Winnie, ou vers le Browning. Il y a du tragique, du comique, de l’absurde dans les journées de Winnie et Willie, et au fond il n’y a rien. La journée se répète, mais aucune histoire ne se déroule. Winnie parle, ils ne dialoguent pas.

C’est une pièce sur le rien. Pas sur le néant, sur le rien. Elle est comme un miroir, on y voit ce qu’on lui présente. Hier elle m’a emporté dans une réflexion sur le devenir, quand l’âge avance, de ces personnes qui ont besoin de savoir qu’il y a quelqu’un pour les entendre, pour les voir. Pas vraiment besoin qu’on les écoute ni les regarde, juste d’être assurées qu’elles sont bien le centre de l’univers.

C’est une bonne idée de l’avoir montée dans la salle voutée du théâtre de Nesle, l’ocre des pierres prolonge la couleur du sol Étendue d’herbe brulée voulue par Beckett, le spectateur n’est jamais vraiment loin de Winnie.

Véronique Boulanger habite Winnie. Sans excès ni exubérance, sans se laisser déborder, avec une belle musicalité dans sa voix. Pour les grognements de Willie, c’est Jérôme Keen.

Pour l’anecdote, on notera un des titres du journal que lit Winnie, Ce virus n’est pas si méchant, on sait ce qu’il en est advenu, comment le monde s’est arrêté. Une petite réserve, les noirs entre les actes qui n’en sont pas vraiment, on voit ce qui se passe, ça détruit la magie du spectacle.

Oh les beaux jours est une pièce casse gueule. Un quasi monologue très balisé pour actrice la cinquantaine, de beaux restes, blonde de préférence, grassouillette … poitrine plantureuse (description pas très féministe mais signée Beckett). Véronique Boulanger excelle dans l’exercice, on la voit avec plaisir maitriser le vocabulaire de Beckett, on savoure les Oh le beau jour !, Oh le vieux style ! qui ponctuent la pièce.

Une belle Winnie, donc une belle version de Oh les beaux jours, dans le miroir de laquelle chaque spectateur pourra se retrouver face à lui même.

Au théâtre de Nesle jusqu’au 18/12/23
Lundi : 20h30; dimanche : 16h00
Durée : 1h20

Texte : Samuel Beckett
Avec : Véronique Boulanger, Jérôme Keen
Mise en scène : Véronique Boulanger

Visuel : DR

Cette chronique a été publiée pour la première fois sur www.jenaiquunevie.com

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