Paradoxal

Mon grand coup de cœur de la rentrée, Paradoxal. Si M. Night Shyamalan et Stephen King avait un fils, ça serait Marien Tillet. Si ils faisaient quelque chose entre Inception et The Twilight Zone, avec un zeste de Shining, ça serait Paradoxal.

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(c) @Cielecridelarmoire

Dans le noir, une voix s’élève. Elle raconte un rêve, le rêve de Maryline. En Afrique, dans la savane. Un lion donne naissance. A une gazelle. Il mange la gazelle. A laquelle il donne naissance. Derrière, un troupeau de rhinocéros blancs en talons rouges charge. Maryline se réveille, c’est le bruit des talons de la voisine du dessus qui l’a réveillée. Elle se motive, va glisser une enveloppe, un mot choisi, sous la porte.

Maryline va participer à une expérience sur le rêve, peut-on synchroniser les rêves de rêveurs lucides, peuvent-ils se retrouver dans un rêve commun ?

L’expérience est menée par un professeur, l’occasion d’absorber une foule de choses sur les 4 niveaux du rêve lucide, sur le rêve de la guillotine d’Alfred Maury. Dans l’expérience, il y a Alexandre, l’adolescent gamer, Christiane, la mère de famille, la seule à comprendre ce que dit Alexandre. Paulette, ancienne infirmière, seule rêveuse de niveau 4 (*).

La pièce se déroule, c’est décousu, bizarre. C’est bizarre, mais c’est normal, on est au théâtre. Oui, mais non, la clé est là, ne plus admettre cette phrase, c’est bizarre mais c’est normal, la clé du monde des rêves, c’est un test, qui permet de savoir si on est dans le rêve, ou dans la réalité. Un index qui s’allonge quand on tire dessus. Les aiguilles des secondes, qui avancent, ou pas.

On se retrouve à chanter en chœur Cerf, cerf, ouvre-moi. C’est bizarre, mais c’est normal. On est au théâtre.

Jusqu’à la fin. Glaçante. Ouch. Pleins feux, applaudissements nourris. Noir. Lumière. Là on ne sait plus du tout où on est. Les spectateurs se regardent, hésitent à quitter la salle.

Le décor ? Un bureau, une chaise de bureau. Un bureau qui bouge. Devant, derrière, à cour, à jardin, de face, de côté. Des bouteilles d’eau, des petites. Plus le temps passe, plus elles sont nombreuses. Ca va au delà de la pièce. Vous comprendrez en sortant.

Paradoxal est une pièce quasi hypnotique. Marien Tillet utilise le pouvoir des mots, le pouvoir des mots qui font naitre des images dans le cerveau de celui qui écoute.

Le bureau est une table de résonnance, le son est partie intégrante du spectacle, son des bouteilles qui dansent sous nos yeux, utilisation d’un looper pour créer une musique… Simon Denis, le régisseur, accomplit un travail énorme à suivre Marien Tillet.

J’aime le théâtre qui raconte une histoire. J’aime le théâtre quand je sors dérangé, perturbé. J’aime le théâtre quand je sors en ayant d’approfondir un sujet. J’aime le théâtre quand le jeu de l’acteur s’est mis au service du texte. J’aime le théâtre quand la mise en scène aide l’acteur à embarquer le spectateur.

Je suis sorti bluffé, perturbé, impressionné par Paradoxal. Il y a une histoire, prenante, avec une fin glaçante. Un ensemble d’éléments sur le rêve, à continuer à explorer. Marien Tillet ? il est ici, là, comme ci, comme ça. Il surprend, il embarque. Il a écrit au plateau, le résultat est là. Dans sa mise en scène, aucun chichi, aucune performance pour la seule performance. Tout est nécessaire. Tout est efficace.

Je me suis retrouvé quelque part entre l’univers  qui sous tend Inception (pas les poum poum poum, mais les plongées imbriquées dans les rêves, mais le monde malléable) et celui de la Quatrième Dimension (c’est bizarre, mais c’est normal). Avec une façon de raconter qui rappelle celle de M. Night Shyamalan. Une intrigue que ne renierait pas Stephen King. Le thriller, au théâtre, c’est difficile. C’est difficile d’emmener le spectateur vers la peur. La vraie peur, celle qui vous glace, pas la surprise qui vous fait sursauter. Paradoxal est une réussite. Un énorme boulot, et une grande réussite.

Si vous acceptez l’idée d’être un peu bousculé, si vous avez encore une âme d’enfant, si vous êtes capable de vous étonner, de vous enthousiasmer, si vous savez qu’on peut sortir des rails, c’est LA pièce que vous devez aller voir.

Paradoxal, c’est mon grand grand coup de cœur de la rentrée.

Au Théâtre de Belleville jusqu’au 30 novembre 2018
Mercredi – jeudi – vendredi – samedi – 21h15

Le 18/06/19 – 19h30 : Le Figuier Blanc, Argenteuil (95)
Du 21 au 24 janvier 2020 : le NEST CDN de Thionville

Texte : Marien Tillet
Avec : Marien Tillet
Compagnie : Le Cri de l’Armoire

(*) les 4 niveaux du rêve lucide :
1 : le rêveur a conscience du fait qu’il est en train de rêver
2 : le rêveur peut contrôler ses actions dans le rêve en cas de mort ou de danger imminent
3 : le rêveur peut contrôler ses actions en toutes circonstances
4 : le rêveur peut choisir le thème du rêve et le poursuivre de nuit en nuit

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